(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-25-
LE COUP DE CHAUD
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Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
CHAPITRE 13
L'APOTHICAIRE
(SUITE 1)
Le procès verbal d’inventaire faisait état d’un nombre considérable d’indices concordants dont je tente ici de vous reproduire la liste (X) de mémoire :
UN THERMOMÈTRE ÉMAILLÉ DE COULEUR JAUNE, UN BAROMÈTRE FAISANT AUSSI HYGROMÈTRE ; UN APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE DE MARQUE LEICA™ (M6 - N° 1674362), UN OBJECTIF 2.8/50MM ELMAR ; 6 ROULEAUX DE PELLICULE VIERGE KODAK TRI X 100 ASA 36 POSES ; UN AGRANDISSEUR DE MARQUE SHARPIO-RHENEL™, UN JEU DE FILTRES DE COULEURS GRADUÉS, UN MASSICOT FORMAT 30X40 ; UN CUTTER ET PLUSIEURS PAQUETS DE LAMES DE RECHANGE ; UNE BOITE DE PEINTURE LEFRANC™ (UNIQUEMENT COMPOSÉE DE COULEURS PRIMAIRES ROUGE, VERT, BLEU) ; UN ENSEMBLE ASSEZ IMPORTANT D’ERLEN-MEYER, DE BECHERS, DE BOÎTES DE PÉTRI ET DE TUBES À ESSAI DE FORMES ET DE CONTENANCES DIVERSES, DONT UN VASE EN VERRE TRANSLUCIDE ET DE TRÈS GRANDE TAILLE, COURONNÉ D’OR À SON ENCOLURE ; UN ÉLECTROLYSEUR, UN STÉRILISATEUR, UN CALORIMÈTRE ; UNE LAMPE CONVERTIBLE À INFRA ROUGE OU ULTRA VIOLETS ; UNE PAIRE DE CISEAUX, 6 TUBES DE COLLE UNIVERSELLE ; UN PIOLET D’ALPINISME EN ACIER FORGÉ DE MARQUE CHARLET-MOSER™ FABRIQUÉ À CHAMONIX (HAUTE-SAVOIE) TAILLE 45cm, UN PITON CORNIÈRE DE FABRICATION CALIFORNIENNE (APPELÉ PITON AMÉRICAIN), UN DUVET ROUGE ; TROIS SACS EN TOILE DE JUTE CHARGÉ DE PIERRES, UN QUATRIÈME SAC REMPLI D’UN MÉLANGE DE TERRE ET DE DIFFÉRENTES MATIÈRES VÉGÉTALES EN DÉCOMPOSITION ; UNE SCIE À GRECQUER, UN RACLOIR, UN JEU DE PINCES À BOUTURER, 12 SIGNETS EN BOIS, 6 PELOTES DE SISAL; UN CALENDRIER DE SEMIS LUCIEN CLAUSE ; UN PETIT ALAMBIC (MODÈLE ASSEZ ANCIEN) ; UN RÉCHAUD À ESSENCE COLLMAN™ ET 3 RECHARGES ; UN MICROSCOPE, UN ASTROBALE ORIENTAL ; UNE LUNETTE ASTRONOMIQUE 300X FREHEL, UN CURVIMÈTRE (MODÈLE SUISSE), UNE BOUSSOLE (FONCTIONNANT DANS LES DEUX HÉMISPHÈRES) ; UNE REPRODUCTION D’ENLUMINURES REPRÉSENTANT LA DESTINÉE DE L’ÂME SELON LE MODÈLE D’ÉTAGEMENT DES SPHÈRES PLANÉTAIRES DE PTOLÉMÉE, UNE AUTRE, REPRÉSENTANT UNE GRAVURE DE DÜRER INTITULÉE « MÉLANCOLIA » ; UN HERBIER DE FLEURS SAUVAGES ANNOTÉ À LA MAIN ; UNE COLLECTION DE PAPILLONS EXOTIQUES DONT UN MORPHO REMARQUABLE ÉPINGLÉ À L'INTÉRIEUR D'UNE BOITE D'EXPOSITION ; UN LIVRE RELIÉ CUIR DE TRÈS BELLE FACTURE ET ILLUSTRÉ PAR BOTTICELLI, INTITULÉ « LA DIVINE COMÉDIE » ; UNE COLLECTION COMPLÈTE DE PARIS MATCH (QUELQUES NUMÉROS DÉCOUPÉS), UNE AUTRE EN LANGUE ANGLAISE DU NATIONAL GÉOGRAPHIC ; UN LIVRE INTITULÉ « L’AMATEUR D’ABÎMES » DE SAMIVEL, UN AUTRE INTITULÉ « TRISTE TROPIQUE » DE C.L. STRAUSS ; UN AUTRE ENCORE, INTITULÉ « L’ESQUISSE D’UN TABLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L’ESPRIT HUMAIN » DE CONDORCET ; UN RECUEIL DE POÉSIES DE PAUL VERLAINE DANS LA PLÉIADE ; UN AUTRE D’ ARTHUR RIMBAUD DANS UNE SIMPLE ÉDITION DE POCHE ; UN LIVRE DE PHOTOGRAPHIES, INTITULÉ : « PHOTOGRAPHIES D’HCB », ENCORE UN AUTRE INTITULÉ : « HCB PHOTOGRAPHE » ; UNE ENCYCLOPÉDIE DE BIOLOGIE TOUTE NEUVE, ET PUIS « HISTOIRE DE L’ART » DE E.H. GOMBRISH ; « LE CONTRAT SOCIAL » DE ROUSSEAU, LA « FRENCH THEORY » DE FRANCOIS CUSSET, « LES FRAGMENTS D'UN DISCOURS AMOUREUX » DE ROLAND BARTHES, « GODARD PAR GODARD » AUX ÉDITIONS DU CAHIER DU CINÉMA, UN DICTIONNAIRE (LES DEUX VOLUMES DU « ROBERT » ) TRÈS USAGÉS ; LES 7 TOMES ÉDITÉS CHEZ GALLIMARD D’ « À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU » DE MARCEL PROUST ; « ULYSSE » DE JAMES JOYCE EN ÉDITION DE POCHE ; « LES PARTICULES ÉLÉMENTAIRES » DE MICHEL HOUELLEBECQ ; « LE TESTAMENT À L’ANGLAISE » DE JONATHAN COE ; UN PLAN DU MUSÉE DU LOUVRE, UN AUTRE À L’ÉCHELLE 1/25000e DES ENVIRONS DE BOUILLY DANS LE DÉPARTEMENT DE L’AUBE ; UN ENREGISTREMENT DE « MADAME BUTTERFLY » DE PUCCINI, SUIVI D’UN AUTRE DE « PINK FLOYD », L’ENSEMBLE RÉUNIS SUR UNE BANDE MAGNÉTIQUE D’UN DEMI POUCE (12.7 mm) TOUT À FAIT HORS D'USAGE ; UN DISQUE 33 TOURS DE JOHN LENNON ET YOKO ONO RETIRÉ DE LA VENTE EN 1968 À CAUSE DE SON CARACTÈRE PORNOGRAPHIQUE ; UN AUTRE INTITULÉ : « DANGEROUS », INTERPRÉTÉ PAR MICHAEL JACKSON ET RANGÉ DANS UNE POCHETTE RÉALISÉE PAR LE PEINTRE MARK RYDEN ; LE FILM « CAPRICORN ONE » DE PETER HYAMS EN VHS ; UN BRACELET FÉMININ EN FORME DE SERPENT QUI SE MORD LA QUEUE TAILLÉ DANS UN MÉTAL BLANC ; UNE ROSE SÉCHÉE SOUS UN GLOBE TRANSPARENT ; HUIT FLACONS DE PARFUMS HERMÈS ; UN BILLET DE TRAIN (UN ALLER SIMPLE PARIS-TROYES) ; UNE ROBE DE MARIÉE ET UNE PAIRE D’ESCARPINS AUX TALONS TRÈS EFFILÉS DANS UNE BOITE A CHAUSSURES REMPLIES D’UNE CORRESPONDANCE AMOUREUSE ASSIDUE ; UNE BOUTEILLE DE « BUSHMILL » ; PLUSIEURS BOITES DE CACHETS D’ASPIRINE RENFERMANT EN RÉALITÉ DES COMPRIMÉS DE LEXOMIL™...
-X- La liste retranscrite exactement dans l’ordre ou son fac-similé m’est parvenu, est fort longue et ne saurait faire ici l’objet d’une description exhaustive. Aussi, permettez-moi de vous réclamer votre confiance totale en tant que je puis vous assurer de ma bonne foi et de ma parfaite honnêteté concernant le témoignage que j’apporte dans le respect du document original. Profitant de l’instant pour tout de même vous préciser le cadre strict de ma prestation dans l’obligation de réserve qui m’est imposée par tous les ayants droits. Vous rappelant, oui, que de ce qu’en vertu de mon autonomie d’auteur défendue par le droit inaliénable à son libre-arbitre, il m’appartient en conséquence, de décider de ce qu’il me sied de consentir à vous livrer tout ou partie des éléments constitutifs de l’intrigue ; de même que je ne saurais déroger à l’usage de mon pouvoir souverain dans l’acte de vous instruire sur la chronologie des faits et dans le calendrier qu’il me convient de vous les exposer.
Jules disait ne plus se souvenir du moment exact où tout avait commencé entre son père et sa mère, déclenché par les lettres d’Antoine, mais pas seulement. « Quant à cet alunissage... Cet exploit de deux astronautes américains dont j’ai même oublié le nom. Amstrong et l’autre, comment vous dites déjà ?... Aldrin c’est ça ! Que voulez-vous que je vous dise ?... C’était il y a longtemps et je vous répète que je n’avais peut-être que quatre ou cinq ans à l’époque, et franchement, je ne crois pas que ce soit très important ! »
J’avais fini par relâcher mon premier sentiment d’angoisse sur l’accotoir d’un fauteuil Louis XV en trompe-l’œil or et violet où mon hôte avait proposé que je m’installe en acceptant de prendre un café avec lui, juste sous une photographie en noir et blanc. La photo de cette fille, cette jeune danseuse... dont l’allure concentrait toute mon attention au centre du cadrage. « Vous aimez ? » Jules m’affirma détester la couleur sur les photos. « Peut-être à cause de sa nature instable, son caractère subjectif. Peut-être, oui, à cause de cette propriété physique hallucinante d’être et autre chose à la fois ?! d’être un corps, une somme de particules associées, et juste son interprétation aléatoire en même temps. Un spectre, un simple fantasme... » Chaumont... Je ne savais pas trop quoi penser à propos de ce type au nom bizarre, un nom de ville... Ce Jules Chaumont que tous m’avait dépeint comme une sorte de malade mental, un demeuré. La pire espèce de dégénéré.
Nous avions parlé près d’une après-midi entière, d’abord de sa mère... puis, par extension, de ce sociologue et philosophe Michel Clouscard, très imprimé dans la pensée d’un écrivain génial comme Houellebecq dont la société se moquait sans jamais l’avoir lu vraiment. Sa version d’une anthropologie de la modernité, toute consacrée selon lui, à la destruction des grands récits collectifs au profit de l’essor des fantasmes individuels. Michel Clouscard, qui aura permis à l’ontologie d’un marxisme « premier » (dédogmatisé...) d’accoster sur ce quai fleuri d’une idée post-rousseauiste plutôt brillante au demeurant. Un hégélien... Une sorte d’alchimiste en réalité, qui aura tenté toute sa vie, l’improbable dilution d’un Hegel et d’un Rousseau dans le bain primordial d’un Karl Marx ! De la dialectique à l’état pur. De la dialectique au sens ou Hegel justement.... faisait pour une part correspondre cette notion à celle du scepticisme (l'art de dissoudre les opinions dans le néant). Au final, un idée molle : La tentative d’un combat contre l’Eros libéral et la bureaucratie stalinienne, vaste programme, oui... contre la dictature du marché et celui du prolétariat par la voix du praxis. L’Ulysse du praxis, en sa mère moderne, intranquille, post-soixante-huitarde que le docteur d’état en sociologie nomma lui-même libérale-libertaire et néo-fasciste. Cette idéologie du désir frivole et vulgaire, de liberté de mœurs qu’il fustige comme forme débarquée du capitalisme sauvage pour le nourrir en retour... gavé la bête... de jouissance sans entrave.
Poursuivant sur le terrain de nos réflexions communes, l’un et l’autre approuvions aussi l’idée qu’un certain dolorisme fut également nécessaire à l’élaboration d’un plan de bonheur utile à la vie des gens pour accorder l’orchestre de nos libertés individuelles, et par opposition à quelque spinozisme en la matière. Oui À tout malheur est bon selon la célèbre théorie de la vitre cassée et du vitrier qui s’en réjouit. Un simple « sophisme » répond une petite société bourgeoise bien-pensante. Et comme je la comprends aussi. Oui, comme je comprends l’intention des mieux lotis (quelques rares privilégiés, omniscients, omnipotents... omniprésents du centre jusqu’aux marges), de ne point vouloir disserter de leur insupportable confort à l’aune de toutes les misères du monde. Comme j’admets l’épreuve (les preuves) trop douloureuse, intolérable pour qui n’est pas familier des blessures profondes ; pour qui n’est pas coutumier de la violence arbitraire, des fêlures... comme celle d’une enfance bousculée... des grands amours chavirés. Mais voilà que je m’égare encore... (cette forme de résilience et ses champs électriques irisant... Une véritable désolation). Oui, encore une fois... À toute chose... malheur est bon. De Baudelaire à Rimbaud... Des rescapés d’Auschwitz-Burkenau, Sobibor, Belzec, Treblinka... Ceux du Goulag ou du Laogai, Long Kesh... Banja Luka, Omarska... Les victimes des milices Interahamwe ou Impuzamugambi... Les gosses de tous les camps, de toutes les sortes de ghettos ; les rejetons de tous les pères défaillants ; de toutes les mères inaptes... Ceux de toutes les politiques d’extermination du monde sensible... Oui, comment faire ? sinon d’apprendre à extraire du noir, la couleur... l’effluve magique des arcs-en-ciel. Un tas de mineurs de fond à l’ouvrage de leurs singulières métamorphoses. Des habitants de la transcendance, des chercheurs d’oxymores, des poètes... Des vendeurs de richesses inouïes. Des survivants... Des suspects.
« Mais je ne suis pas un spécialiste vous savez... Je me contente seulement de résister au bruit des lanternes, au chuintement des lampions... au tintamarre de la plèbe. Le tout à ma manière et dans le strict respect de mes illusions passées. Rien de plus. Au reste, je tiens mon école des rues sombres et des marais fiévreux, comme Rimbaud lui-même (encore lui...) — et pardonnez-moi par ailleurs cette obscène tentative de rapprochement — Oui, comme Rimbaud rapporte avoir conquis ses connaissances historiques dans les celliers, tout autant qu’il dit avoir été averti sur les sciences classiques dans quelque vieux « passage » parisien. J’ai bien cherché ces « passages » à travers le plan de ces Illuminations. J’ai cherché dans ses « gouffres d’azur » et ses « puits de feu ». Lui, le « maître du silence » sur ses « sentiers âpres » ; ce Rimbaud, capable de « fixer ses vertiges ». Oui, je vous assure que j’ai tout exploré depuis ses « égouts » et jusqu’à son « salon souterrain » seul vestige de son enfance évanouie. Mais nous parlions de ma mère n’est-ce pas ? »
À SUIVRE
UN THERMOMÈTRE ÉMAILLÉ DE COULEUR JAUNE, UN BAROMÈTRE FAISANT AUSSI HYGROMÈTRE ; UN APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE DE MARQUE LEICA™ (M6 - N° 1674362), UN OBJECTIF 2.8/50MM ELMAR ; 6 ROULEAUX DE PELLICULE VIERGE KODAK TRI X 100 ASA 36 POSES ; UN AGRANDISSEUR DE MARQUE SHARPIO-RHENEL™, UN JEU DE FILTRES DE COULEURS GRADUÉS, UN MASSICOT FORMAT 30X40 ; UN CUTTER ET PLUSIEURS PAQUETS DE LAMES DE RECHANGE ; UNE BOITE DE PEINTURE LEFRANC™ (UNIQUEMENT COMPOSÉE DE COULEURS PRIMAIRES ROUGE, VERT, BLEU) ; UN ENSEMBLE ASSEZ IMPORTANT D’ERLEN-MEYER, DE BECHERS, DE BOÎTES DE PÉTRI ET DE TUBES À ESSAI DE FORMES ET DE CONTENANCES DIVERSES, DONT UN VASE EN VERRE TRANSLUCIDE ET DE TRÈS GRANDE TAILLE, COURONNÉ D’OR À SON ENCOLURE ; UN ÉLECTROLYSEUR, UN STÉRILISATEUR, UN CALORIMÈTRE ; UNE LAMPE CONVERTIBLE À INFRA ROUGE OU ULTRA VIOLETS ; UNE PAIRE DE CISEAUX, 6 TUBES DE COLLE UNIVERSELLE ; UN PIOLET D’ALPINISME EN ACIER FORGÉ DE MARQUE CHARLET-MOSER™ FABRIQUÉ À CHAMONIX (HAUTE-SAVOIE) TAILLE 45cm, UN PITON CORNIÈRE DE FABRICATION CALIFORNIENNE (APPELÉ PITON AMÉRICAIN), UN DUVET ROUGE ; TROIS SACS EN TOILE DE JUTE CHARGÉ DE PIERRES, UN QUATRIÈME SAC REMPLI D’UN MÉLANGE DE TERRE ET DE DIFFÉRENTES MATIÈRES VÉGÉTALES EN DÉCOMPOSITION ; UNE SCIE À GRECQUER, UN RACLOIR, UN JEU DE PINCES À BOUTURER, 12 SIGNETS EN BOIS, 6 PELOTES DE SISAL; UN CALENDRIER DE SEMIS LUCIEN CLAUSE ; UN PETIT ALAMBIC (MODÈLE ASSEZ ANCIEN) ; UN RÉCHAUD À ESSENCE COLLMAN™ ET 3 RECHARGES ; UN MICROSCOPE, UN ASTROBALE ORIENTAL ; UNE LUNETTE ASTRONOMIQUE 300X FREHEL, UN CURVIMÈTRE (MODÈLE SUISSE), UNE BOUSSOLE (FONCTIONNANT DANS LES DEUX HÉMISPHÈRES) ; UNE REPRODUCTION D’ENLUMINURES REPRÉSENTANT LA DESTINÉE DE L’ÂME SELON LE MODÈLE D’ÉTAGEMENT DES SPHÈRES PLANÉTAIRES DE PTOLÉMÉE, UNE AUTRE, REPRÉSENTANT UNE GRAVURE DE DÜRER INTITULÉE « MÉLANCOLIA » ; UN HERBIER DE FLEURS SAUVAGES ANNOTÉ À LA MAIN ; UNE COLLECTION DE PAPILLONS EXOTIQUES DONT UN MORPHO REMARQUABLE ÉPINGLÉ À L'INTÉRIEUR D'UNE BOITE D'EXPOSITION ; UN LIVRE RELIÉ CUIR DE TRÈS BELLE FACTURE ET ILLUSTRÉ PAR BOTTICELLI, INTITULÉ « LA DIVINE COMÉDIE » ; UNE COLLECTION COMPLÈTE DE PARIS MATCH (QUELQUES NUMÉROS DÉCOUPÉS), UNE AUTRE EN LANGUE ANGLAISE DU NATIONAL GÉOGRAPHIC ; UN LIVRE INTITULÉ « L’AMATEUR D’ABÎMES » DE SAMIVEL, UN AUTRE INTITULÉ « TRISTE TROPIQUE » DE C.L. STRAUSS ; UN AUTRE ENCORE, INTITULÉ « L’ESQUISSE D’UN TABLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L’ESPRIT HUMAIN » DE CONDORCET ; UN RECUEIL DE POÉSIES DE PAUL VERLAINE DANS LA PLÉIADE ; UN AUTRE D’ ARTHUR RIMBAUD DANS UNE SIMPLE ÉDITION DE POCHE ; UN LIVRE DE PHOTOGRAPHIES, INTITULÉ : « PHOTOGRAPHIES D’HCB », ENCORE UN AUTRE INTITULÉ : « HCB PHOTOGRAPHE » ; UNE ENCYCLOPÉDIE DE BIOLOGIE TOUTE NEUVE, ET PUIS « HISTOIRE DE L’ART » DE E.H. GOMBRISH ; « LE CONTRAT SOCIAL » DE ROUSSEAU, LA « FRENCH THEORY » DE FRANCOIS CUSSET, « LES FRAGMENTS D'UN DISCOURS AMOUREUX » DE ROLAND BARTHES, « GODARD PAR GODARD » AUX ÉDITIONS DU CAHIER DU CINÉMA, UN DICTIONNAIRE (LES DEUX VOLUMES DU « ROBERT » ) TRÈS USAGÉS ; LES 7 TOMES ÉDITÉS CHEZ GALLIMARD D’ « À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU » DE MARCEL PROUST ; « ULYSSE » DE JAMES JOYCE EN ÉDITION DE POCHE ; « LES PARTICULES ÉLÉMENTAIRES » DE MICHEL HOUELLEBECQ ; « LE TESTAMENT À L’ANGLAISE » DE JONATHAN COE ; UN PLAN DU MUSÉE DU LOUVRE, UN AUTRE À L’ÉCHELLE 1/25000e DES ENVIRONS DE BOUILLY DANS LE DÉPARTEMENT DE L’AUBE ; UN ENREGISTREMENT DE « MADAME BUTTERFLY » DE PUCCINI, SUIVI D’UN AUTRE DE « PINK FLOYD », L’ENSEMBLE RÉUNIS SUR UNE BANDE MAGNÉTIQUE D’UN DEMI POUCE (12.7 mm) TOUT À FAIT HORS D'USAGE ; UN DISQUE 33 TOURS DE JOHN LENNON ET YOKO ONO RETIRÉ DE LA VENTE EN 1968 À CAUSE DE SON CARACTÈRE PORNOGRAPHIQUE ; UN AUTRE INTITULÉ : « DANGEROUS », INTERPRÉTÉ PAR MICHAEL JACKSON ET RANGÉ DANS UNE POCHETTE RÉALISÉE PAR LE PEINTRE MARK RYDEN ; LE FILM « CAPRICORN ONE » DE PETER HYAMS EN VHS ; UN BRACELET FÉMININ EN FORME DE SERPENT QUI SE MORD LA QUEUE TAILLÉ DANS UN MÉTAL BLANC ; UNE ROSE SÉCHÉE SOUS UN GLOBE TRANSPARENT ; HUIT FLACONS DE PARFUMS HERMÈS ; UN BILLET DE TRAIN (UN ALLER SIMPLE PARIS-TROYES) ; UNE ROBE DE MARIÉE ET UNE PAIRE D’ESCARPINS AUX TALONS TRÈS EFFILÉS DANS UNE BOITE A CHAUSSURES REMPLIES D’UNE CORRESPONDANCE AMOUREUSE ASSIDUE ; UNE BOUTEILLE DE « BUSHMILL » ; PLUSIEURS BOITES DE CACHETS D’ASPIRINE RENFERMANT EN RÉALITÉ DES COMPRIMÉS DE LEXOMIL™...
-X- La liste retranscrite exactement dans l’ordre ou son fac-similé m’est parvenu, est fort longue et ne saurait faire ici l’objet d’une description exhaustive. Aussi, permettez-moi de vous réclamer votre confiance totale en tant que je puis vous assurer de ma bonne foi et de ma parfaite honnêteté concernant le témoignage que j’apporte dans le respect du document original. Profitant de l’instant pour tout de même vous préciser le cadre strict de ma prestation dans l’obligation de réserve qui m’est imposée par tous les ayants droits. Vous rappelant, oui, que de ce qu’en vertu de mon autonomie d’auteur défendue par le droit inaliénable à son libre-arbitre, il m’appartient en conséquence, de décider de ce qu’il me sied de consentir à vous livrer tout ou partie des éléments constitutifs de l’intrigue ; de même que je ne saurais déroger à l’usage de mon pouvoir souverain dans l’acte de vous instruire sur la chronologie des faits et dans le calendrier qu’il me convient de vous les exposer.
Jules disait ne plus se souvenir du moment exact où tout avait commencé entre son père et sa mère, déclenché par les lettres d’Antoine, mais pas seulement. « Quant à cet alunissage... Cet exploit de deux astronautes américains dont j’ai même oublié le nom. Amstrong et l’autre, comment vous dites déjà ?... Aldrin c’est ça ! Que voulez-vous que je vous dise ?... C’était il y a longtemps et je vous répète que je n’avais peut-être que quatre ou cinq ans à l’époque, et franchement, je ne crois pas que ce soit très important ! »
J’avais fini par relâcher mon premier sentiment d’angoisse sur l’accotoir d’un fauteuil Louis XV en trompe-l’œil or et violet où mon hôte avait proposé que je m’installe en acceptant de prendre un café avec lui, juste sous une photographie en noir et blanc. La photo de cette fille, cette jeune danseuse... dont l’allure concentrait toute mon attention au centre du cadrage. « Vous aimez ? » Jules m’affirma détester la couleur sur les photos. « Peut-être à cause de sa nature instable, son caractère subjectif. Peut-être, oui, à cause de cette propriété physique hallucinante d’être et autre chose à la fois ?! d’être un corps, une somme de particules associées, et juste son interprétation aléatoire en même temps. Un spectre, un simple fantasme... » Chaumont... Je ne savais pas trop quoi penser à propos de ce type au nom bizarre, un nom de ville... Ce Jules Chaumont que tous m’avait dépeint comme une sorte de malade mental, un demeuré. La pire espèce de dégénéré.
Nous avions parlé près d’une après-midi entière, d’abord de sa mère... puis, par extension, de ce sociologue et philosophe Michel Clouscard, très imprimé dans la pensée d’un écrivain génial comme Houellebecq dont la société se moquait sans jamais l’avoir lu vraiment. Sa version d’une anthropologie de la modernité, toute consacrée selon lui, à la destruction des grands récits collectifs au profit de l’essor des fantasmes individuels. Michel Clouscard, qui aura permis à l’ontologie d’un marxisme « premier » (dédogmatisé...) d’accoster sur ce quai fleuri d’une idée post-rousseauiste plutôt brillante au demeurant. Un hégélien... Une sorte d’alchimiste en réalité, qui aura tenté toute sa vie, l’improbable dilution d’un Hegel et d’un Rousseau dans le bain primordial d’un Karl Marx ! De la dialectique à l’état pur. De la dialectique au sens ou Hegel justement.... faisait pour une part correspondre cette notion à celle du scepticisme (l'art de dissoudre les opinions dans le néant). Au final, un idée molle : La tentative d’un combat contre l’Eros libéral et la bureaucratie stalinienne, vaste programme, oui... contre la dictature du marché et celui du prolétariat par la voix du praxis. L’Ulysse du praxis, en sa mère moderne, intranquille, post-soixante-huitarde que le docteur d’état en sociologie nomma lui-même libérale-libertaire et néo-fasciste. Cette idéologie du désir frivole et vulgaire, de liberté de mœurs qu’il fustige comme forme débarquée du capitalisme sauvage pour le nourrir en retour... gavé la bête... de jouissance sans entrave.
Poursuivant sur le terrain de nos réflexions communes, l’un et l’autre approuvions aussi l’idée qu’un certain dolorisme fut également nécessaire à l’élaboration d’un plan de bonheur utile à la vie des gens pour accorder l’orchestre de nos libertés individuelles, et par opposition à quelque spinozisme en la matière. Oui À tout malheur est bon selon la célèbre théorie de la vitre cassée et du vitrier qui s’en réjouit. Un simple « sophisme » répond une petite société bourgeoise bien-pensante. Et comme je la comprends aussi. Oui, comme je comprends l’intention des mieux lotis (quelques rares privilégiés, omniscients, omnipotents... omniprésents du centre jusqu’aux marges), de ne point vouloir disserter de leur insupportable confort à l’aune de toutes les misères du monde. Comme j’admets l’épreuve (les preuves) trop douloureuse, intolérable pour qui n’est pas familier des blessures profondes ; pour qui n’est pas coutumier de la violence arbitraire, des fêlures... comme celle d’une enfance bousculée... des grands amours chavirés. Mais voilà que je m’égare encore... (cette forme de résilience et ses champs électriques irisant... Une véritable désolation). Oui, encore une fois... À toute chose... malheur est bon. De Baudelaire à Rimbaud... Des rescapés d’Auschwitz-Burkenau, Sobibor, Belzec, Treblinka... Ceux du Goulag ou du Laogai, Long Kesh... Banja Luka, Omarska... Les victimes des milices Interahamwe ou Impuzamugambi... Les gosses de tous les camps, de toutes les sortes de ghettos ; les rejetons de tous les pères défaillants ; de toutes les mères inaptes... Ceux de toutes les politiques d’extermination du monde sensible... Oui, comment faire ? sinon d’apprendre à extraire du noir, la couleur... l’effluve magique des arcs-en-ciel. Un tas de mineurs de fond à l’ouvrage de leurs singulières métamorphoses. Des habitants de la transcendance, des chercheurs d’oxymores, des poètes... Des vendeurs de richesses inouïes. Des survivants... Des suspects.
« Mais je ne suis pas un spécialiste vous savez... Je me contente seulement de résister au bruit des lanternes, au chuintement des lampions... au tintamarre de la plèbe. Le tout à ma manière et dans le strict respect de mes illusions passées. Rien de plus. Au reste, je tiens mon école des rues sombres et des marais fiévreux, comme Rimbaud lui-même (encore lui...) — et pardonnez-moi par ailleurs cette obscène tentative de rapprochement — Oui, comme Rimbaud rapporte avoir conquis ses connaissances historiques dans les celliers, tout autant qu’il dit avoir été averti sur les sciences classiques dans quelque vieux « passage » parisien. J’ai bien cherché ces « passages » à travers le plan de ces Illuminations. J’ai cherché dans ses « gouffres d’azur » et ses « puits de feu ». Lui, le « maître du silence » sur ses « sentiers âpres » ; ce Rimbaud, capable de « fixer ses vertiges ». Oui, je vous assure que j’ai tout exploré depuis ses « égouts » et jusqu’à son « salon souterrain » seul vestige de son enfance évanouie. Mais nous parlions de ma mère n’est-ce pas ? »
À SUIVRE