jeudi 18 septembre 2008

NEON™ EN HIMALAYA



CONTRE-CHAMP


VU À LA TÉLÉVISION !
ANDRÉ PAYRAUD LE NAGEUR DE "L'EXTRÊME"





OU LES DESSOUS D'UN GRAND FILM D'AVENTURE PLONGÉ DANS L'UNIVERS PALPITANT DE LA CRÉATION AUDIOVISUELLE FRANÇAISE.


Franchement ! avec le temps, j'ai tendance à tout pardonner. Vraiment ! Les gens... leur étrange façon d'essayer d'exister dans le monde par tout un tas de moyens subtils comme la bêtise, la convoitise, la vanité, les coups bas ; la mauvaise foi surtout... Bref ! J'en veux pour preuve cet épisode, en 1999, de ma courte vie de cinéaste de "l'extrême". Cette rencontre avec une sorte d'homme-saumon (assez rare sur les hauteurs du Faucigny !) Le type fêtait tout juste ses cinquante ans et partait livrer bataille sur quelques promontoires Himalayens dans l'espoir de faire parler de lui dans les journaux. (C'était la fin d'une époque, le type n'avait pas vu le temps passer, ni son âge.) Je crois que c'est pour cette raison que je lui ai tout pardonné, avec "ce temps-là" dont je vous parle... A dire vrai, je ressentais même à une certaine nostalgie affectueuse pour le personnage ; avec le temps... Dix ans !

André Payraud... comment vous dire ?! L'homme qui murmurait à l'oreille de la déesse Gangâ (une divinité hindoue du Gange). Le type fut le « repreneur » français de l’invention de la nage en eaux vives (Une discipline peu banale consistant à descendre une rivière en pente, équipé d’une paire de palmes et d'une combinaison en caoutchouc renforcée). Un type... la quintessence de ces « nouveaux aventuriers » à la mode au milieu des années quatre-vingt, promus vedettes de télévision par la force et la bêtise de ce que tout le petit écran s’évertuait à trouver d’un peu original pour remplir ses cases vides balafrées de spots publicitaires (mais heureusement... un jour, il y aurait Sarkosy ! Sa réforme de l'audiovisuel public pour une télé sans pub et des cases qu'on aurait quand-même un peu de mal à remplir de manière intelligente avec les poches vides !)

André Payraud et sa combinaison de plongée, avait d’abord fait parlé de lui en glissant sur le ventre sur toute la longueur du glacier d’Argentières dans le massif du Mont-Blanc. Sacré Dédé ! Une sorte de kamikaze originaire de la vallée de l'Arve, qui rêvait de devenir un héros comme Maurice Herzog, mais qui ne savait pas vraiment grimper non plus. Le type un peu casse cou, avait quitté son emploi de commercial dans la moquette et les revêtements de sol en général, pour surfer sur la nouvelle vague de l’exploit un peu idiot, mais carrément télégénique dont le service public était "extrêmement" friand juste après la privatisation de la première chaîne (allez savoir pourquoi ?!) « Le yeti en caoutchouc » comme l’avaient surnommé les sherpas du Népal. Car le type... oui, mon vieux Dédé s’était mis dans la tête de descendre la rivière la plus haute du monde à la nage ; l'immense Khumbu Kola, le torrent de l’Everest. À la nage !!!!! J’avais découvert les images en visionnant un extrait des Carnets de l’aventure (l'émission "cultissime" d'Antenne 2), alors qu’une grande maison de production m’avait confié la réalisation du film de « sa vie ». L'histoire sensationnelle du nageur « le plus haut du monde », ses exploits dans le Colorado, dans le torrent du Mont-blanc ; son rodéo dans la Traful au Chili... j’avais d’abord trouvé son « press book » impressionnant... le type, plutôt sympa. Dédé terminait de boucler ses malles pour une nouvelle expédition. Son objectif : retourner sur les traces de son « record du plus haut nageur de la planète ». Mieux !... "l'homme-poisson" des hautes cimes tenterait de se battre lui-même de quelques mètres supplémentaires. Rien que ça !... 4807m, l’altitude symbolique du Mont-blanc.





PICTURES COVER © JL GANTNER / TEL FRANCE/GRAND LARGE/ ODYSSEE 1999


Propriétaire d’une société d’exploitation d’activités nautiques sur les bords de l’Arve prisée par une jet set parisienne de pacaotille, le "héros"... une des stars d’Incroyable mais vrai ! (l’émission de Jacques Martin), avait imaginé remettre un peu de poudre de perlimpinpin dans son commerce de tout ce qui pouvait bouger dans l'eau d'un peu rigolo pour faire des sous.
Et voilà comment cette année 1999, juste avant la saison des pluies ; la vallée du Khumbu, ses Sherpas, ses lodges remplies de touristes en mal de sensations fortes, ses moulins à prières, ses yaks et leurs sacs North face™ sur le dos, ses ponts pittoresques en aluminium refaits à neufs grâce à l'aide de la confédération helvétique... oui, voilà comment cette vallée mythique des hauteurs bouddhistes considérables et leurs sherpas xénophobes envers tout ce qui leur semble une miorité négligeable ou subalterne et qui ne leur rapporte rien... (les porteurs, les ethnies locales des étages inférieurs) oui, comment la plus haute vallée du monde et ses odeurs de thé beurré acheté chez les soldeurs chinois de l'autre côté de la frontière, a vu revenir « Dédé la moquette », ses palmes d’occase et toute une équipe de cinéma pour filmer l’aventurier à l’heure de son nouveau grand bain médiatique.

Chargés de notre demie tonne de matériel de tournage, rendez-vous fut pris dans un palace de Katmandu pour suivre cette "fameuse" expédition d’André Payraud. Un avion de brousse plus tard... et au bout d’une dizaine de jours d’une marche d’approche d'une lenteur considérable... le matériel, acheminé sur le dos d’une quinzaine de porteurs, fut donc déposé comme prévu à la côte 4807 au pied de la langue terminale du glacier de Khumbu, un chaos glaciaire provenant directement des pentes sommitales de l’Everest. Une mise en scène digne d’Hollywood. Dédé, dans sa panoplie d’homme-grenouille, un masque de plongée qui l’empêchait de respirer dans l'oxygène rarifié par l'altitude... prit son élan depuis un minuscule promontoire rocheux face au plus merveilleux des panoramas qu'il puisse s'imaginer sur terre, et se jeta du poids de ses cinquante ans plutôt bien nourris, dans une flaque d’à peine 3mm d’une eau bleue turquoise recouverte d'une esthétique dentelle de glace. Plouf ! ou plutôt "crac !!" Le photographe de Paris Match grilla une pellicule entière dans la seconde qui sépara le début du « saut de la mort » à la phase d’immersion du « nageur le plus haut du monde » sur son petit tas de cailloux arrosés de gel. Tant bien que mal, notre « Maurice Herzog » des torrents de abruptes, fit ce qu’il put pour perdre quelques centimètres de dénivelés dans sa pataugeoire grandiose, mais pleine de caillasses récalcitrantes... avant de jouer la comédie, les deux bras en l’air en signe de victoire, face caméra. « J’lai fait ! » erupta le yeti en caoutchouc dans sa peau de gomme toute foutue par la pierraille aiguisée. « Record du monde !... » souffla encore le héro dans son tuba rempli de sable sacré. Plusieurs semaines plus tard, l’image, exagérément ralentie fit la une du journal de Claire Chazal sur TF1. La « performance » fut homologuée dans le Guiness book des records dirigé par la fille de l’ancien président Giscard d’Estaing. Sur place, des dizaines d’heures de prises de vues furent encore nécessaires afin d'obtenir plusieurs secondes exploitables d’un ballet aquatique digne d'une excellente comédie burlesque, qui mises bout à bout finirent par donner l’illusion d’une performance très sérieuse dans les dangereux rapides de l’Himalaya. Une escroquerie... car l'homme en réalité, au lieu d'une descente intégrale et en règle... se laissait emporter sur quelques dizaines de mètres seulement, juste le temps d'impressionner la pellicule sous un panorama idéal et de recommencer la même opération le lendemain. une diablerie... du "cinéma", vous dis-je.

L’ensemble de « l’expédition la plus débile de tous les temps » prit également la forme d’un film de près d’une heure dont on m’assura - producteurs, chaînes de télévisions et responsables de festivals de cinéma compris - qu’il constituait une surprenante prouesse cinématographique prête pour s'attaquer aux meilleurs records d'audience. Il fut même un ancien journaliste politique de TF1 promu directeur d’une chaîne de télévision dédiée aux documentaires qui m’avait félicité d’avoir si joliment su rendre « le côté simple et honnête du personnage ». Gérard Carreyroux (celui qui grâce à son analyse perspicace, donnait la candidate Ségolène Royale grande gagnante de la présidentielle française en 2008) avait encore rajouté : « On sent bien que ce gars-là aime la nature et les animaux... » D’un esprit peut-être un peu lent, je n’avais pas compris d’emblée cette référence aux « animaux » dans un film qui ne comprenait en tout et pour tout qu’une seule séquence d’un yak solitaire blanchi au froid vigoureux de la région des plus haut sommets de la terre, et sans rapport d'aucune sorte avec l'escapade filmée de notre homme-poison. "L"homme-poisson"... Oui, voilà, comment n'y avais-je pas pensé ?! Une prouesse zoologique. Tout un sujet de réflexion pour le politologue reconverti en spécialiste de la nature humaine plongée dans le grand bain médiatique. le côté animal du poisson et le côté bête de l'homme qui veut jouer les poissons au milieu des yaks... Sacré Gérard !... Ma carrière toute neuve de « metteur en scène » de films d’aventure s’était arrêté-là, sans rancune, mais tout de même ! Jurant comme dit la fable perspicace, qu'on ne m'y reprendrai plus.


Le réalisateur dépité de KHUMBU KOLA sous les pentes du Pumori - 2000


Un jour... bien plus tard, Dédé me laissa un très sympathique message de remerciements sur ma boite vocale. Un mot très touchant pour me dire combien il avait apprécié le "beau" montage à l'adresse de son héroïsme convaincant. Je crois ne lui avoir jamais rien répondu.

Plus tard encore, beaucoup plus tard... je me suis souvenu de ces aventuriers véritables qu'on ne voyait jamais à la télévision. ces "conquérants de l'inutile" écrivait le grand alpiniste français Lionel Terray. Ceux qui consacrent leur vie à leur passion, dans l'ombre gracieuse et le noir esthétique d'un idéal altruiste et flamboyant. À ceux-là, réfugiés en leurs cimes intérieures et leurs promontoires de verre, j'aurais voulu rendre un hommage discret.

JL Gantner



PS. J'avais d'abord prévu de vous laisser découvrir ce document, ce merveilleux souvenir... (Une certaine nostalgie du vide, peut-être ?!) Mais l'objet juridique s'y oppose formellement. Entendez par là qu'un auteur pour survivre... vend ses droits à qui lui permet de continuer son chemin, en exploitant ses droits comme il l'entend. C'est la loi. Celle de la propriété privée. De fait, je ne dispose d'aucune autorisation légale pour vous livrer la bête, emballée dans son fichier téléchargeable. Alors si d'aventure, un jour, au hasard d'un programme de télé, vous avez la chance de tomber sur la chose, cette "Expédition Khumbu Kola", extrayez cinquante deux minutes de votre vie trépidante et si utile, pour cette distraction, ce divertissement d'un genre passé de mode, et supperposez ce que vous venez de lire sur les impressionnants paysages bien alignés dans leur bel écrin cathodique. Faites çà, vraiment ! Juste pour moi. Juste pour que je ne sois plus seul à savoir...

Vous remerciant de toutes mes marques™.
Votre dévoué Néon™