mercredi 25 mars 2009

LE RADEAU DES CIMES


À BORD DU RADEAU DES CIMES



PHOTO © JL GANTNER / GABON 1999


C’était au mois de mars 1999 dans les brumes matinales de la forêt équatoriale africaine. J'avais rejoint la mission du professeur de botanique tropicale Francis Hallé au centre du Gabon. Un campement au milieu de la forêt des abeilles. Lieu-dit : La Makandé (0°40 Sud, 11°54 Est). Une quarantaine de scientifiques venus du monde entier profitait d’un laboratoire aérien inventé par l’architecte français Gilles Ebersolt « le Radeau des cimes ». Une plateforme suspendue sous un ballon gonflé à l’hélium. L’ensemble permettait de voyager sur l’air au-dessus de la canopée, à la vitesse des Toucans.

Cette photographie fut prise pendant la réalisation d’un boulot de reportage pour une émission de télévision « Les nouveaux mondes / France 2 ». (L'image et son inévitable contre champ !) Le souvenir d’un point de vue inoubliable sur cette incroyable machinerie aérostatique plantée dans son décor d’arbres géants. Deux câbles fixés au sommet du ballon permettaient de positionner un objectif et son opérateur à une distance idéale de l’équipement scientifique (à disons, cinq ou six mètres de la cabine de pilotage et dix du radeau...) Une glissade dans l’air saturé d’humidité. Le spectacle insensé d’une forêt vierge en travelling, à quelques mètres seulement de notre embarcation gonflée à l’hélium. Le décollage à l’aube dans le voile frais des condensations tropicales, la lumière ocre verte qui s’estompe, cède sa place au chant des brûleurs à gaz. Les premiers cris des grands singes. Le signal du jour, celui du réveil tonitruant de la canopée. Cette sensation est indescriptible sinon qu’elle s’agite dans mon souvenir à la manière d’un voyage dans la lune, rien de moins ! Un de ces voyages de Jules Verne... Une façon de se déplacer, mais sans fracas, sans rien déranger du monde naturel et de son mécanisme instinctif bien réglé. C’est-à-dire une manière de bouger, mais dans le sens d’une transformation profonde. Un déplacement sur soi-même en quelque sorte, par opposition à toute autre forme de tourisme ou d’excursion gratuite.

Je n’ai plus vraiment volé depuis. Juste emprunté quelques machines à gaz un peu chères, dans l’air moche des usines et des slogans télévisuels à vingt heures. Rien qu’une échappée belle dans les masses d’air naturelles pour mesurer l’impact des coïncidences thermiques entre le bleu du ciel et le vert de ses yeux, et puis plus rien. J’ai vu tout ce bois précieux répandu en forme de tables chez tous mes voisins. La demeure des Toucans transformée en chaises, le territoire des indiens converti en rocking-chair, la citadelle pygmée réduite à un meuble de jardin… Que vouliez-vous que je vous dise de plus ? ça fait dix ans déjà. La terre vue juste d'un peu plus haut, un vol inoubliable.
JLG



PORTRAIT À LA LOPÉ - GABON /© JL GANTNER



DU PROFESSEUR HALLÉ À PROPOS DU MONDE VÉGÉTAL :

"L'être humain, qui se croit au sommet de l'évolution, compte 26 000 gènes dans son ADN. On a découvert que le génome du riz en détient 50 000. Le double ! Ça a été un choc pour les biologistes"

"L'homme possède un seul génome, stable. Chez l'arbre, on trouve de fortes différences génétiques selon les branches : chacune peut avoir son propre génome, ce qui conforte l'idée que l'arbre n'est pas un individu mais une colonie, un peu comme un récif de corail".


"L'arbre n'est pas programmé pour mourir. Il suffit d'aller dans la banlieue de Londres, au jardin botanique de Kew Garden, pour voir une collection d'arbres potentiellement immortels. Les chênes y vivent éloignés les uns des autres au milieu d'immenses pelouses. Leurs branches basses traînent par terre et s'enracinent pour donner de nouveaux arbres, qui à leur tour en donnent d'autres. Si les conditions restent bonnes, pourquoi voulez-vous que ça s'arrête ? Le plus vieil arbre que l'on ait identifié pour l'instant, le houx royal de Tasmanie, a 43 000 ans. Sa graine initiale aurait germé au Pléistocène, au moment de la coexistence entre Neandertal et l'homme moderne".

"J'ai passé beaucoup de temps à tenter de défendre la forêt primaire, et je n'ai rien obtenu. Mais sur le plan éthique, se battre a une valeur. Je me considère comme extrêmement privilégié : grâce à l'expérience du Radeau des cimes, j'ai vu ces merveilles et j'aurais voulu que mes contemporains puissent en profiter. Le sous-bois de ces forêts, ce qu'on voit à hauteur d'homme, ne présente pas grand intérêt. En revanche, ces canopées sont d'une beauté spectaculaire, impossible à décrire. Une fois que vous avez vu ces couronnes d'arbres en fleurs, ces animaux extraordinaires et de toutes tailles, que vous avez entendu le concert de la faune canopéenne à la tombée du jour, au milieu des lucioles, vous ne pouvez plus y toucher. Par ailleurs, c'est une immense réserve en molécules biochimiques, un trésor planétaire qui offre des perspectives formidables pour la recherche pharmaceutique. Un jour, on aura besoin de ces molécules et on se dira : c'est bête, on les avait sous la main et on n'en a pas tiré parti".


de Francis Hallé
AUX ORIGINES DES PLANTES (FAYARD)
L’ÉLOGE DE LA PLANTE (SEUIL)

D'autres auteurs sur le thème de l’arbre et des plantes vertes
LA VIE SOCIALE DES PLANTES / JEAN-MARIE PELT (FAYARD)
LA PLUS BELLE HISTOIRE DES PLANTES / PELT-MONOD-MAZOYER-GIRARDON (SEUIL)
MYTHOLOGIE DES ARBRES DE JACQUES BROSSE (PETITE BIBLIOTHÈQUE PAYOT)