dimanche 29 mai 2011

SERGENT /9 JUIN 2011



Jean-Pierre Sergent signera son catalogue « Mayan Diary »

Le 9 juin 2011 entre 18H et 20H
Restaurant/Salon de thé « Mon Loup » 10 rue Pasteur à Besançon.
A cette occasion, l’artiste présentera un entretien filmé par JL Gantner.


Je suis pour ma part, le produit d’une éducation sceptique du point de vue des doctrines ou des églises quelles qu’elles soient. Point de sainte vierge pour défendre mon armada affective, ni aucun mandalas pour me retenir à l’intérieur du cercle de mes amours perdus… Cette sorte d’agnostique plutôt. Car j’ai tout de même croisé dans mes voyages, des ombres effrayantes et des parfums sublimes qui s’entremêlaient sans raison apparente, comme les étoiles et les comètes s’entrechoquent quelquefois ailleurs dans l’univers pour produire quelques poussières de couleurs magiques sur cette sorte de terre-là qui nous porte ensemble sans raison apparents. S’il m’est souvent arrivé d’avoir peur dans l’obscurité, je dois dire encore que c’est en raison plutôt des hommes et de leurs mœurs fâcheuses qu’à cause d’une somme de courants d’air occultes. Voilà pour être tout à fait loyal envers vous avant d’en arriver à mon compte, et pour être quitte de nos itinéraires métaphysiques respectifs.


"Mayan Diary #4", acrylic silkscreen on plexiglass & tinted plexiglass, 2007, 55"X55"


À vrai dire, Je ne sais plus précisément où et quand j’ai rencontré Jean-Pierre Sergent la première fois, mais le détail n’a en fait aucune espèce d’importance à l’échelle des temps cosmologiques dont nous parlons. Disons qu’une sorte d’institution officielle de la culture m’avait conseillé l’obscure démarche sur la pointe des pieds et l’affaire aurait pu s’arrêter là. On ne sait jamais vraiment de quelle façon exacte un enchaînement de circonstances finit par s’imposer comme une forme de bonne fortune pour l’esprit ? Voilà peut-être l’Axis Mundi qui précipita cette première rencontre. Juste une somme de coïncidences… « Un cataclysme ».
Je crois que l’on a d’abord parlé de Bacon… Où alors nous aurions dû. Bacon… « Ni une narration, et encore moins de l’illustration » disait Maurice Tourigny(1). Juste une confrontation des affects dans l’idée d’un terrible accident de parcours. Bacon, comme un récepteur du temps qui passe, « terrible ». Ce « résultat » d’une somme de hasards, et de leurs corolaires intimes obsédants.

Jean-Pierre Sergent, cet artiste qui débarquait de New York quelques heures plus tôt tentait de me convaincre d’un tas de puissances démiurgiques qui coloraient la profondeur des mondes anciens. Un tas de formules magiques difficiles à admettre depuis mon espèce de promontoire occidental un peu figé. Moi qui préférait en général débattre de ce thème prolixe des baigneuses dans l’histoire de l’art ou de Guernica. Des annonciations au trecento ; Giotto bien sûr… et plus tard surtout Piero della Francesca. D’un déjeuner sur l’herbe qui pu faire scandale en son temps ou cette ignoble Hallali de Courbet dont il me semble que tout le monde veuille avoir son petit mot à son propos. Cette Aphrodite de Cnide de Praxitèle bien sûr, ou un dialogue tout aussi convenable entre une Pietà de Villeneuve et une nymphe de Titien. Ce « style » des christ d’or et d’argent byzantin ; ces Madones romanes ; les escarpements gothiques. Le génie de Daumier. En vrac, Rembrandt, Caravage, Rubens, Velasquez ou Manet. Mon admiration pour Baudelaire ou Mallarmé si l’on avait parlé de poésie d’emblée. Tout ce qui compose et ordonne la consistance de nos colloques académiques de ce côté du monde, nos schémas… L’exégèse et l’herméneutique… Nos manières exécrables de nous parler de haut, sûrs de nous et débarrassés de nos fibres ardentes. « On n’y voit rien » disait le critique Daniel Arasse. Et les musées même… leur profusion insensée, continuent de nous rendre aveugle aux effleurements sensibles qui transcendant les siècles.
Ce peintre… ancien éleveur de chevaux dans le haut Doubs avant de faire le choix d’aller visiter les indiens navajos dans les réserves de l’Arizona au lieu d’un destin figé dans sa Comté post agricole. Ceux de l’Utah ou du nouveaux Mexique, qu’avant lui Pollock avait côtoyé sous l’emprise de quelques drogues autochtones séculaires. Un shoot magnifique pour la scène mondiale de l’art moderne.



Large-Paper-n°20-JP-Sergent-July-2010


Pollock, Lichtenstein, Rosenquist, Jasper Johns ou Rauschenberg… La conversation s’est installée comme ça, sur le ton d’un dialogue sidéral à propos des traces que les hommes laissent, de leurs traces et de leur altérité dans la nuit infinie. L’idée d’une interview nous est venue bien plus tard alors que l’on travaillait ensemble sur le projet d’un premier film. Quelques questions lancées dans le vide comme Jean-Pierre peint aussi dans l’esprit d’une forme de langage des signes intuitif. Une interview dans le genre de ces bavardages amicaux à partir d’un grand livre d’art posé sur sa table de travail. Cette sorte de muséographie imaginaire dont Malraux parlait, mais du point de vue des pôles inversés. D’abord cette Khajurâho indienne au lieu d’une Athéna de Phidias. Oui, d’abord ce Çiva d’Ellorâ, ce masque africain ou tordu des chamans esquimau ou ce Chevalier-Aigle de Mexico… comme sujet principal de toutes nos métamorphoses au lieu d’une nuit mortelle dans un Louvre glacial. Jean-Pierre Sergent riait aux scènes un peu crues rapportées sur la pierre sacrée d’un monde disparu. Des scènes de fécondité débordante et d’amour joyeux entre les hommes, les femmes et leurs rythmes naturels ensevelis. Le travail, ou plutôt la production de ces autres « grands maîtres de l’irréel » et de leur paradis perdu. Je revoyais un à un ces chevaux bruns des grottes de Lascaux nous dépasser dans un éclair foudroyant, ces figures stylisées au verbe oublié sous la cohorte de nos gisants chrétiens (un langage de plomb contre la chronique aérienne des ciels sumériens ou aztèques). La beauté des gravures rupestres de Tamun en Litsleby. Le génie insoluble du Codex de Madrid… Oui, nous avons beaucoup parlé, mais aussi beaucoup ri ce jour-là à propos des corps et des organes ingurgités dans la couleur céleste. Des scènes érotiques sans tabou. Des corps-signes, des corps-fleurs, des corps-dieux de toutes sortes et leurs postures phénoménales dans la jouissance extatique. Une multitude de thème « pornographiques » dans les critères sordides de nos conventions sociales dégénérées. Je lui ai dit les difficultés qu’il risquerait de rencontrer dans un de ces petits villages de l’Est de la France où il revenait s’installer, face à l’opinion et au jugement de valeurs. L’aveuglement des foules dans la promiscuité des figures de style standardisées… La politique molle de l’idéal humain en cette étrange affaire d’un monde moderne tout accaparé par la litanie de son déclin annoncée. Un genre de discours que ce « new-yorkais » entendait bien sûr… mais l’artiste lui, s’est mis a sourire un peu en pensant à cette sorte de tapage qu’il déclencherait peut-être à la porte des institutions françaises et qui risqueraient dés lors de lui rester fermées à jamais. On a parlé de Michelet et puis de Ferdinand de Saussure, de Levi Strauss, du docteur Freud et d’un tas de formules secrètes contenues dans les écritures saintes. Des gestes et des réseaux, des symboles… de tout de ce qui fait encore sens dans le grand espace pétrifié ; des feux follets qui le transpercent pour nous ranimer. On s’est revus quelques jours plus tard pour parler du vide aussi. De la théorie du chaos, de la phénoménologie de Bergson et du peuple Maya. De l’art sacré et de sa forme naturellement sexuée avant que tout ne disparaisse dans un grand branle-bas punitif judéo-chrétien.


Mayan Diary/2009", acrylic silkscreen on plexiglass & tinted plexiglass 55"X55"

C’est-à-dire que l’homme depuis est devenu mon ami, mais son « mur de lumière » continue de me subjuguer. Sa matrice. Son Iliade… de plexiglass™. Une fournaise de signes incandescents rapportés d’un voyage transatlantique qui a réussi à me transporter moi aussi ; comme chaque voyage à la charge de nous ouvrir un peu les yeux dans l’obscurité récurrente. Car comment vous dire qu’au lieu de cet l’Aurige de Delphe, je préfère aujourd’hui le « maniérisme » cosmique des fresques d’Ajantâ, ou pire encore… cette peinture de Jean-Pierre Sergent qui s’adresse au corps, à notre anatomie particulaire, plus qu’à la raison logique, et dégagée de tout arbitraire « convenable » comme ces Sabbat de femmes, divines… même lorsqu’elles sont « attachées » sur leur lit de vinyle, retenues prisonnières entre leurs parois faites de surimpressions énergétiques aléatoires. Des juxtapositions magiques de principes actifs hyper sensuels où la culture archaïque côtoie le pire manga ; la bande dessinée et la caricature pornographique. Comme au tant où les messages des rois scythes parvenaient à Darius sous une forme qui pouvait prêter à la controverse, les signes « muets » utilisés par accumulation dans l’œuvre de JP Sergent peuvent d’abord prêter à l’équivoque. Une œuvre qui en dit pourtant bien plus long que tout ce que nous pourrions nous écrire d’un peu intelligible dans le but d’apprendre à nous connaître nous-mêmes. Des signes millénaires chargés d’une énergie propre dont les conventions graphiques peuvent nous échapper un instant, mais dont la puissance naturelle de chacun d’entre eux, accouplés dans cette sorte de symbiose hallucinante, couche après couche… révèle la possibilité d’une figure d’amour rituel qui frappe d’emblée notre imagination. Enter dans l’univers de Jean-Pierre Sergent, c’est accepter de pénétrer un espace sacré. Une expérience sensible aux limites de l’Aube de notre humanité. Mais que je vous avoue maintenant, après quelques préliminaires consommés entre nous. Oui, que je vous dise la stricte vérité sur ce Jean-Pierre Sergent. L’homme est un chaman… Un « technicien » du sacré… Il a vu des fleuves de sang couler dans le pistil des fleurs de Jade et des tigres blanc remonter aux sources de feu par la voie du Nirvana. Un sage et son tambour de rêves qui parle aux attelages mythiques et aux abeilles des ruches séculaires. Le gardien… de la forêt d’Aphrodite et d’Ishtar. Il a vu en rêve les jeunes filles prises par les hommes de l’île de Goulburn. Les jeunes filles qui poussent des cris de douleur à cause de leurs longs pénis. Les jeunes filles de la tribu Nagara… Les hommes de l’île de Goulburn éjaculant leur semence dans le corps des jeunes Burara… Celles qui sont toujours là, couchées sur le dos, étendues parmi les feuillages de la palmeraie, au lieu dit des Nuages immobiles, où se lèvent les nuages de l’ouest(2).
Voilà la vérité vraie et comme j’ai pu moi-même tout vérifier sans rien de tenter de vous cacher.
JLG

1-Maurice Tourigny. Francis Bacon : le hasard et l’odeur de la mort
Vie des Arts, Volume 35, numéro 139, juin-été 1990, p. 16-19

2- Cycle de l’île de Goulburn - Poésie du peuple de la Terre d’Arnhem (Australie)
in Les Techniciens du sacré - Anthologie de Jerome Rothenberg / Éditions José Corti