vendredi 9 janvier 2009

NÉON™ ET LA CRISE / II



Le journalisme en temps de crise / II


Il faut travailler disait Baudelaire, sinon par goût, au moins par désespoir. La vie en elle-même est vaine, elle ne vaut rien. Car oui, qu’elle est-elle en réalité cette vie ? Et pour conclure avec la célèbre formule... Sinon ce qu’on en fait. Un chemin plutôt qu’un but. La vie comme seule alternative au néant, le mystère de la lumière, toutes sortes de températures, des horizons... contre l’obscurité, le silence assuré, un cimetière. La vie comme une possibilité de gestes infinis. Le choix d’en découdre, l’engagement... contre celui de se taire sans cesse, le froid polaire des sentiments rentrés. Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que j’en sais ? Je ne l’ai pas vécu encore, enfin pas encore assez, je veux dire pas entièrement. Je pensais ça sur un concerto de Chopin, le concerto No 2, Op 21 Larghetto. On pourrait passer toute une vie sans jamais rien savoir de la musique de Chopin. Qu’est-ce que ça pourrait bien foutre en réalité ? Beaucoup de gens, la majorité des gens dans le monde vivent en ce moment même sans avoir une seule idée de ce dont on parle ici, ensemble, entre nous. Juste quelques notes d’une beauté considérable pour mesurer la différence entre le bruit, l’agitation du monde et une certaine idée sur la diffusion de l’air en hiver. Les plaines tragiques, tout ce qui somnole en nous d’un corps perdu dans l’éther, l’effroyable souvenir d’elle dans la couleur du ciel par exemple. Nos maraudes, nos grappillages interdits. Alors voilà, je me disais que travailler vaudrait mille fois mieux que de ne rien faire. Travailler comme il faudrait dire aussi : oublier, absoudre, tenter de se racheter.


Jean-paul Sartre

Travailler à faire connaître Chopin, oui, pourquoi pas !... s’employer à refaire découvrir Camus pour faire plaisir à un de mes meilleurs potes sur terre. Si, je suis sûr que ça lui ferait plaisir ! Camus plutôt que Sartre, dirait t’il un peu dans l’embarras, mais quand même... Et comme je le suis finalement, dans le même désarroi. Sartre qui attendra jusqu’à l’écrasement de l’insurrection de Budapest pour enfin transiger un peu entre « les chiens » et la couleur rouge sang qu’il répandait sur les murs des beaux cafés de St Germain des prés pour le compte de sa réussite personnelle, entière, aveugle et définitive. L’homme révolté, « l’absurde » Camus en Algérie, qui ne voulait pas choisir son camp au-delà du plus pur des sentiments maternels. Camus l’écrivain libre à sa maman (et alors !?) Camus l’esthète, l’amoureux du beau... contre Sartre le militant, le philosophe « engagé » qui détestât toute sa vie la littérature et celle de Marcel Proust en particulier (et voyez comme j’arriverais forcément à préférer l’un au détriment de l’autre à force d’insister). Insistons alors ! L’enfer, c’est les autres, a écrit le petit roi de St Germain.


Albert Camus

L’enfer ?... c’est d’abord soi-même ! répliquerais-je à l’existentialiste. Son gouffre, ses propres limbes. Ses limites... son caractère forcément limité, stupide, lâche aussi. Forcément lâche. Amoureux dira plus tard un Barthes tout à fait lumineux. Décider de ne pas choisir, choisir de continuer son chemin, choisir le désert pour ce qu’un malin plaisir le campe, celui de souffrir d’une précaution essentielle de savoir nous perdre en de multiples occasions. Sartre n’aurait jamais su voyager dans ce désert-là, voilà tout. Un type incapable de naviguer dans le sable à marée haute les pieds nus, loin des consignes, loin des salons de fornication, loin des kiosques à journaux. Écouteriez-vous encore Chopin dans ces conditions... À mille mille de toute terre habitée disait Saint Ex ? Préféreriez-vous entendre Chopin ou bien alors ce simple appareil du bruit naturel sifflant les dunes, rongeant la terre à coup de fifre ? Cet air profane que personne n’entend plus et qui nous rappelle à l’ordre sans cesse, de cette poussière qui nous attend à la fin. Oh oui, comme je préfère Camus finalement, lorsqu’il tombe aussi bas, une chute vertigineuse dans les fosses d’un humanisme en fin de course. Une chute sans égale, le fin du fin en matière de dégringolade. La glissade des glissades. Un chef d’œuvre de la descente à mains nues, et les pieds devant pour amortir la pression.

Travailler, disait Baudelaire... Comme j’en conviens avec lui. Travailler pour effacer, travailler pour tout gommer, nos amertumes et nos mers à boire. Travailler à nos incertitudes et à nos distorsions, nos malfaçons surtout. Travailler, mais travailler à soi-même alors... Trier nos déchets. Travailler à jeter ses épluchures au bon endroit, sur la bonne route et dans la bonne direction. Travailler à tout faire disjoncter. Un grand coup d’électricité dans l’air. Sartre, Camus... et qu’on y revienne plus s’il vous plait ! Qu’on m’amène plutôt des femmes et du vin blanc, de la chair fraîche à dégommer dans les règles. Qu’on m’apporte des têtes à claques sur un plateau, Poujade et sa clique de commerçants par exemple, une paire de beaux démagos et une troupe de bonimenteurs hertziens pour faire passer... Ces populistes, ces petits bourgeois d’une gauche toute cramée par les enfantillages, les balivernes, les niaiseries. Travailler, mais travailler sur le mode binaire surtout ! Écoper où laisser couler. Ruer dans les vagues ou se laisser dériver jusqu’au large. Vous avais-je parlé de Chopin ? (à suivre...)
Néon™