lundi 19 janvier 2009

LE MÉPRIS



"LA LETTRE" (ROMAN)


UNE LETTRE, DANS LE SENS D'UNE CORRESPONDANCE OU UNE SORTE DE COROLLAIRE SI VOUS PRÉFÉREZ. UNE AUTRE FAÇON DE PARLER DE GODARD... UN PRÉTEXTE À RÉTABLIR UNE CERTAINE FORME DE COMMUNICATION SUR FOND DE CRISE AMOUREUSE.


AVANT-PROPOS : "On construit sa vie pour une personne et quand enfin on croit l’y recevoir, cette personne ne vient pas, puis meurt pour nous et on vit prisonnier dans ce qui n’était destiné qu’à elle".
Marcel Proust. À propos de Gilberte – À la recherche… / À l’ombre des jeunes filles en fleurs.


(Extrait)
Tony était enfin sorti de l’Hosto. Les médecins pensaient que prendre un peu l’air lui ferait du bien. On lui avait dit de marcher, de voir des gens, de respirer très fort sous les arbres mais d’éviter les platanes. On lui avait conseillé d’éviter la pluie et de se tenir bien droit devant son rédacteur en chef aussi. Tony avait fait tout ça dans l’ordre de la prescription médicale, en insistant principalement sur le dernier point. Tony s’était dit qu’il ne se plierait plus jamais devant personne. Qu’au besoin, il jouerait même les tuteurs dans son jardin secret. Il s’était dit que c’était tout de même le minimum des choses à faire à son âge pour tenir son rang, sa position sociale, sa posture de cinéaste indépendant… et paraître assez fort aux yeux de sa petite amie pour qu’elle retrouve un peu d'estime pour lui.

Tony se disait qu’il lui faudrait maintenant prendre ce putain de virage au plus vite. Se préparer à braquer ses roues dans le bon sens, avant de rater l’embranchement. Tony se disait ça, mais tout ce qu’il conduisait était un peu lourd pour lui. Un vrai camion ! Un trente-cinq tonnes bourré jusqu’à la gueule. Un bahut lancé à toute vitesse sur une ligne droite bien indiquée et qu’il devrait faire ralentir assez pour ne pas déraper le moment venu. (Un bahut... Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux jamais m'empêcher de penser à Pierre Desproges à ce moment-là. Desproges qui disait toujours : "C'est Madame commode qui à épousé Monsieur Buffet... Je dis ça juste pour meubler !")

Un putain de camion donc ! Et Tony n’avait pas son permis poids lourd. Tony, habitué aux trains du service public, aux gares qui défilent pour pas cher sur les voies express, mais qui préfère quand même les lignes directes, les parcours à grande vitesse. Un type, entraîné au courant continu, à tout ce qui circule un peu vite au-dessus de lui sans même essayer de prendre le temps de la rappeler. Tout ce que le monde extérieur pouvait produire comme électricité dans l’air comme des coups de foudre un peu forts et qui vous empêche de respirer au milieu des éclairs. Tous les déchets qu’on répand sur la route. « Le monde… » Tony pensait : « Une centrale nucléaire ». De l’uranium enrichi pour tout faire tout de suite en évitant d’avoir froid juste après ; comme l’aimer maintenant sans jamais plus repenser à elle les jours de brouillard.

Tony, en fin de ligne. Un message à haute tension resté planté dans l’cœur. Une accumulation de câbles électriques branchée à rien. Une vraie décharge publique de lumières éteintes !
Tony avait froid. C’était encore l’hiver et Tony se les gelait en pensant à elle loin d’lui. Son jardin plein de pensées toutes givrées. Des pensées toutes condensées.



PHOTOGRAMME DU MÉPRIS / Brigitte Bardot & Michel Piccoli © JL GODARD 1963


- On parlait de Godard.
- On parlait de nous.
Ou plutôt, on prenait Godard comme prétexte pour parler de nous. On parlait des formes, de tout ce qui déforme. On parlait d’un beau cadre avec nous d’dans. Toi, ton ventre, ta robe de mariée pleine de sang.
- une robe rouge alors !
- C’est Godard qui disait…
- Tu commences à m’faire chier avec Godard ! Godard… Tu pourrais pas te passer un peu de ce vieux schnock pour parler de nous ?
- Mais, dis tout de suite que Godard est un con.
- Je ne dis pas ça. Je n’ai jamais dit que Godard était un con.
- Tu as dit « ce vieux schnock ! »
- J’ai dit vieux schnock comme ça. Ce que je voulais dire, c’est qu’on pouvait parler d’nous sans être toujours obligé de mettre Godard au milieu.
- Tu sais ce qu’il pensait à propos de la communication ?
- J’m’en fous.
- Mais écoutes !
- J’te dis que j’m’en fous.
- tant pis, j’te l'dis quand même...

Godard disait que la communication, c’est ce qui bouge quand ça bouge pas. C’est la pornographie.

- C’est mettre du mouvement là où il ne se passe rien…
- Si tu veux !
- Je traduis comme je le pense. C’est de l’agitation.
- C’est ça, communiquer c’est s’agiter. Faire du bruit, montrer qu’on est là.
- C’est une digression.
- Tu vois que ça t’intéresse !
- Ca ne m’intéresse pas, mais j’te réponds. En l’occurrence, je te réponds que tu fais un drôle de pas de côté. Tu commences par me parler d’une robe toute blanche alors que t’es en plein dans l’rouge. Ensuite tu me parles de Godard, d’une phrase toute faite sur la pornographie pour parler de nous… et tu dis que ce n’est pas une digression ?
Tu sais ! Je crois que c’est ton producteur qui avait raison. « Tu débloques ». T’es un vrai malade !
- Tu ne m’aimes plus ?!
- Ça n’a aucun rapport. Je t’aime. Bien sûr que je t’aime. Je t’aime tout entier. Je t’aime totalement, tendrement, tragiquement.
- C'est lui normalement qui dit ça.
- Elle, lui... qu'est-ce que ça change ?
- d’accord, j’arrête. Je ne te parlerai plus jamais de Godard, c’est promis. Ni de Godard, ni du cinéma moderne, ni de ce qui est arrivé ensuite dans l’industrie du cinéma commercial, ni du cinéma indépendant, d’aucun pays, ni d’aucune manière. Je ne te parlerai plus de cinéma, en général. Là, tu es contente ?
- Cette façon de toujours vouloir pousser les conversations à leurs extrémités.
- C’est mon côté entier.
- Ton côté obsédé.
- J’assume ce côté-là aussi.
- Tu finiras par devoir assumer ce côté-là tout seul. Ce côté-là et les autres avec !
- C’est un ultimatum ?
- prends-le comme tu veux.
- Dis, pour la couleur de la robe… Je préférerais qu’elle soit blanche. Toute blanche. Une belle robe blanche avec des dentelles et des rubans tout blancs aussi.
- Tu es mignonne… T'as pas besoin de tous ces clichés pour qu’on te trouves mignonne.
- Je déteste quand tu dis que je suis mignonne. Mignonne ! ça fait genre : Elle est belle… mais pas assez pour le lui dire vraiment. Arrêtes de dire que je suis mignonne. Ou alors dit carrément que j'te plais pas. Soit honnête après tout !
- Mignonne… Je trouve ça joli moi… Mignonne, On dit mignonne, parce qu’on n’ose pas toujours lui dire qu’elle est belle justement !
- C’est ce que tu penses vraiment ?
- C’est ce que je pense de toi. La plus belle entre toutes. La fille la plus belle que j’ai jamais rencontrée ; sa bouche, ses yeux qui brillent, la couleur de sa peau…
- C’est gentil.
- C’est ce que je pense vraiment.
C’est gentil ,mais je préférerai que tu m’aimes pour ce que je suis. Pas pour mon cul ! Tu aurais pu ajouter mon cul à la liste ! « des jolis yeux, une belle bouche et… un beau cul.
- J’aurai pu
- Tu vois.
- Ce que tu peux être susceptible.
- Réaliste.
- Je préférais quand on parlait de Godard…
- Tu ne vas pas remettre ça ?
- J’ai promis.
TONY™ 2006
(TONY™ EST UNE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DE NÉON™. UNE MANIÈRE À LUI D'ÊTRE PROPRIÉTAIRE DE QUELQUE-CHOSE POUR ESSAYER DE FAIRE COMME TOUT LE MONDE.)


POST-SCRIPTUM : Je repensais encore à Marcel Proust…
Tant que notre cœur enferme d’une façon permanente l’image d’un autre être, ce n’est pas seulement notre bonheur qui peut à tout moment être détruit ; quand ce bonheur est évanoui, quand nous avons souffert, puis que nous avons réussi à endormir notre souffrance, ce qui est aussi trompeur et précaire qu’avait été le bonheur même, c’est le calme.
Marcel Proust. À propos de Gilberte – À la recherche… / À l’ombre des jeunes filles en fleurs.