jeudi 21 février 2008

LE "CODE ART"



L'ART DU CODE... OU LES CODES DE L'ART BOULEVERSÉS PAR L'ÈRE DES MACHINES. (Voir aussi "Design interactif" ou "Art computer"...)


LA COMMUNAUTÉ ARTISTIQUE DU CODE



ARTISTE / ROBERT HODGIN (USA)


L'art du code, Kesako ?... Regardez bien ces images ! Une « image »... ni le résultat d'une opération macrophotographique issu du monde merveilleux de la fécondation in vitro des gamétocystes, ni le produit d'une technique embryoscopique utilisée dans le cadre de la reproduction des plantes vertes. Alors quoi ? L’endoscopie d’un conduit naturel féminin où voyagent deux ovules pétris d’amour l’un pour l’autre en attendant l’éventualité d’une rencontre un peu forte avec un prince plutôt bien équipé ; deux noyaux de pêches paumés dans l'espace intersidéral peuplé de couleurs absurdes... Un paysage à l'échelle galactique, pris en photo grâce à une sonde chinoise en mal de sensations fortes et qui risque de se prendre un gros soleil tout debout sur le pare-brise à des années-lumière de la terre occupée à tout limiter des trajectoires sentimentales et de la vivacité des princes charmants ?



© ROBERT HODGIN

Et bien non et encore non ! Cette image... cette « photographie » en réalité n'en est pas une. Aucune source réelle à laquelle cette « image » saurait s'identifier définitivement. Cette image ne comporte aucune mémoire inscrite dans la monde de l’existant organique, charnel... palpable. Elle n'est la représentation de rien, d’aucun souvenir au sens de ce que Roland Barthes considérait cette « photographie » comme une contingence pure, un matériau ethnologique. La voyance du photographe, disait l’auteur de La chambre claire, ne consiste pas « à voir » justement ! mais à se trouver là.

Non, cette image ne fait référence à rien de physiquement préalable dont le souvenir aurait pu être enregistré grâce à l’activité d’un « photographe » qui se serait trouvé là au bon moment, à « l’instant décisif » aimait dire Cartier-Bresson. Une « image »... pas une photographie donc ! Alors une peinture peut-être, pure abstraction ? Cet acte de représentation sensible du monde, consommé par l’action sur une matière rigoureusement « préhensible ». Et bien non, encore non ! Rien de tout cela. Une « image » celle, dérivée de l'univers mental d'un programmeur forcément « dément » et plutôt surdoué, entraîné à traficoter du code informatique pour en tirer la substant-artistique-moëlle. Une « image »... Oui, directement crée sur ordinateur sans autre source alchimique qu’un simple code classique de programmation. L’idée d’un croisement possible entre le génie visionnaire d’un Donald Knuth pour les mathématiques discrètes, et les aptitudes esthétique d’un Cézanne. Un Léonard de Vinci n’aurait pas fait mieux.

AUCUNE MATIÈRE PREMIÈRE

Robert Hodgin, San Fransisco, adopte le code informatique comme matériau de base à sa création (toute une nouvelle école artistique encore balbutiante). Que l'on se comprenne tout à fait : Pas de la 3D, ni aucune image de synthèse produite à partir d’un puissant software dédié à la CAO, au montage vidéo ou à la manipulation de formes physiques préexistantes... Non, rien de rien au départ ! R. Hodgin n'upload rien, ne scanne rien. Juste du code, rien que du code ; des 0 et des 1 organisés selon des protocoles algorithmiques aux possibilités infinies, et sans véritable frein pour les contenir sinon le talent désespéré et l'intelligence forcément circonscrite des gens. Oui, Monsieur... L’atelier du 21e siècle sans pinceau, ni peinture. Un atelier sans odeur de térébenthine, sans fixateur ni vernis ; un studio sans caméra (ni boite à images d’aucune sorte selon la définition traditionnelle qu’on lui attribue depuis le milieu de 19e siècle). L’homme-machine en plein progrès et en ligne... réinvente la notion même de l’image ouverte sur le bruit du temps, et rend forcément caduque l’esprit philosophique qui entretenait le beau « roman », la « prose » facile sur l’état de « voyance » du monde depuis le temps des mains pochoirs qui s'exprimaient sur les murs des cavernes.

ART OU MAGIE ?

Pour rester juste un moment sur ce sujet considérable de l'histoire du « cliché », Régis Debray parle d’une image « magique » qui a précédé l'âge de l'image artistique. Une image... copie permanente d’un vivant altérable, « une image » définitivement plus solide que son original comme forme d'expression singulière de la société humaine pour échapper à sa peur du grand vide éternel. C'est-à-dire qu'à la décomposition du vivant par la mort, inéluctable, s’échafaudât naguère ce plan, ce dessein d'une immortalité réalisable grâce à une recomposition « par l’image » moins faillible que son esquisse d’origine.

Et voilà dans quel état « l'image », cette image-là mythique, tragique, serait nous dit-on, incapable aujourd'hui de s'émanciper vraiment des carcans sémantiques où l'on espère encore la contraindre. Une image "sacrée", inapte à prendre le large de sa signification primitive sous peine d'être abandonnée au seul marchandage puéril de ses caractéristiques les plus sales ! voilà donc comment une image en forme de réponse définitive au monde des aulnes souterrains, une caverne diabolique... ne saurait être séduite par l’idée d’une autre « lumière » qu'elle-même ?!...


© ROBERT HODGIN


Mais si l’art, comme le considère le même Régis Debray, est le produit de la liberté humaine, la conquête d’un humanisme sur une théologie, alors... cette " image nouvelle" et purement artistique, dégagée de toute « contingence » (pour reprendre Barthes) ; une image libérée de son vecteur ethnologique, débarrassée de toute la pesanteur du souvenir et de son devoir de représentation morale ; une image d’art qui ne fait pas juste "signe", mais capable d’en produire de nouveaux ; des signes flambants neufs... Alors oui, après Rodchenko, Kandinsky, Mondrian, Rothko, Calder... et tout un bouleversement de conception des dimensions du monde qui suivirent cette époque clairvoyante ; « l'image-machine, nouvelle » est dorénavant toute prête à remplacer cette antique et orgueilleuse « machine à images » bien pensante, conforme aujourd'hui au cadre d'une certaine télévision (pour ne surtout pas y revenir et pardonnez-moi cette très légère digression)... la breloque, tragique, à remonter le temps et les poubelles historiques de l'effet miroir, la grande faucheuse de couleurs d'esprits, L'image-dispositif... de la grande manipulation des "voyants", en leur coeur sourd et aveugle au changement.

ART OU PAS ?

À la question : « L’art computer » est-il alors de l’art ? La réponse est forcément oui. Oui, parce que cet art neuf marche de manière rigoureuse dans les empreintes sensibles et esthétiques de ses prédécesseurs, et qu’il s’en extrait tout autant pour inventer ses propres codes du monde visible.


Robert Hodgin livre son code source
http://www.flight404.com



ARTISTE / ERIK NATZKE (USA)

C'est le roi de l'expérimentation aléatoire et générative. Erik Natzke (son nom est partout !) est un designer américain dont la production dans le domaine du code fait l'objet d'une attention toute particulière dans sa communauté professionnelle, mais pas seulement. Car Erik Natzke brouille constament les pistes entre technologie et pure création. Cette oeuvre (ci-desous) par exemple, obtenue srictement grâce au moyen de cet outil "mathématique", n'a peut-être rien a envier à la peinture "traditionnelle" d'un immense Franz Ackermann ? Jugez vous même !


© Erik Natzke

Clacé dans le Top 10 des designers du moment par le magazine How, l'artiste expérimental travaille également pour la publicité et truste quelques prix dans sa discipline. En mai dernier Erik Natzke était invité à Beauboug dans le cadre du Web flash festival (Le festival francophone consacré au contenu pour Internet) pour s'expliquer franchement sur le mystère de ses images nées de rien.
JL GANTNER

© Erik Natzke


© Erik Natzke

© Erik Natzke