EXTRAIT DE "L'ANTI MONT-BLANC"...
(UN DE CES ROMANS À FINIR... COMME UN TAS DE TRUCS QUI ATTENDENT QUE LA NEIGE FONDE SUR UNE TERRASSE CHAMONIARDE POUR TERMINER CE QU'ON AVAIT UN JOUR COMMENCÉ SOUS LES SOMMETS ALPINS. )
"Les filles ont peur du vide, c’est pour ça qu’elles se remplissent, les filles ont peur du vide et les mecs encore plus !"
Un peu partout sur le parquet, des tubes d’acryliques et des pinceaux s’entassaient durcis entre une paire de mousquetons, des piolets et quelques dizaines de topos d’escalade ; un tapis de bouquins, des livres de poche et quelques Gallimard dans leur édition originale... Proust qu’il adorait, le testament à l’anglaise de Jonathan Coe, un Œdipe (celui que vous voudrez !) Bukowski traduit par JF. Bizot au-dessus d’un Jean d’Ormesson qu’il n’avait jamais ouvert au-delà de ce qu’il lui paru convenable de le lire « seulement » sans gerber ; un truc d’Arthur Miller dans une couverture orange, un Becket, du Camus et Joyce, le fantastique Ulysse de Joyce en Folio. pas mal de disques d’Ar&b pour réussir à écrire avec la bonne rythmique et un ordinateur portable connecté sur My space. Zian et ses nombreux « friends » dans la communauté d’ « amis » la plus importante du Web. Pas mal de « pseudos » musiciens surmotivés, des graphistes, des photographes et puis des top models aussi, des filles qui voulaient faire carrière en string avec le spam d’une grande marque collé sur le cul. Tout un tas de correspondants qui lisaient la même chose que lui ou pas, qui aimaient la montagne ou pas... mais qui préféraient quand même les castings de la popstars sur M6 (un « prime » aux allures de radio crochet réactualisé pour la télé comme on avait déjà kiffé grave le film d’Alan Parker "Fame" dans les années quatre-vingt.)
- Un film vraiment naze non ? Tu aimes Modiano ?
Brigitte tenait dans ses mains un Kerouac tout corné. Sur la route, un truc complètement culte de la beat generation, malgré tout ce que les critiques de la presse littéraire autorisée avaient dégueulé sur lui comme insanités lors de sa sortie en 1957... Kerouac, un clodo qui préférait écrire à la faux, une faux d’une longueur immense pour débiter des montagnes "et il fallait qu’elle débite des montagnes lointaines, qu’elle fauche leurs sommets, et elle devait avoir une autre envergure pour atteindre les montagnes lointaines et du même coup trancher tous les poteaux le long de la route, tous ces poteaux qui galopaient l’un derrière l’autre". Un type au bout du rouleau et sa quête d’amour céleste qui ne l’avait conduit nulle part.
- Je dis Modiano à cause de Vincent Delerme, tu aimes Delerme ?
- Non, j’aime pas, c’est chiant.
- Tu me fais la gueule ?
- Non.
- Tu ne m’aimes plus ?
- Oui, bien sûr que je t’aime.
Zian venait de s’allumer une clope.
- Mais qu’est ce que tu fais, je ne t’ai jamais vu fumer.
- Je ne fume pas, j’allume une clope, c’est tout.
- Alors donne-m’en une aussi.
Brigitte s’était assise sur le seul fauteuil du coin salon juste à côté de l’évier (un club au cuir râpé, récupéré chez un faillitaire de Sallanches après que sa petite amie de Nanette se fut barrée avec tous les meubles du salon qui faisait aussi cuisine et chambre à coucher). La cliente, largement émancipée dans son nouveau costume de nouvelle petite amie préférée du « guide le plus séduisant de toute l’histoire de la littérature alpine », avait d’abord retiré sa paire de pompes Chanel à cinq mille boules acheté la veille dans la boutique de produits de Karl Lagerfeld (l’apôtre de la haute couture française et du régime hyper protéiné, son col serré, qui comprimait ses amygdales au point de ne plus réussir à déglutir quoi que ce soit de sympa pour personne). Un pauvre type et sa cour de mange merde qui tournaient autour de son cerveau rebouté aux excédents de greluches anorexiques.
- Mais qu’est-ce que tu as à toujours râler sur tout, les gens, les pubs, la mode et la télé que tu ne regardes même pas. On n’est pas bien là juste toi et moi ? profite Zian... profite, c’est tout !
Brigitte poursuivait son épluchage méticuleux, une paire de bas de soie planquée sous son jean délavé, un string en dentelles Chantal Thomas. Zian n’avait pas bougé de la fenêtre, les yeux perlés d’une mélancolie voilée par la fumée de sa Lucky Strike et le parfum un peu fort de sa pétasse de luxe qui terminait son strip sur une intro de guitare sèche passée d’âge.
- Tu me dis si je te fais chier Zian ? t’as pas envie ? tu penses à ta serveuse c’est ça ? tu crois quelle baise avec ton pote grand reporter et ça te fout le bourdon ?... Allez, te mines pas le Diot ! viens-y manger vinzou, c’est tout payé ! Brigitte, crâneuse, un peu chaude après deux verres de Gentiane et qui voulait rire un peu, s’efforça de caser trois mots de vocabulaire local sans rien gâcher de sa généreuse chorégraphie. Une tentative acrobatique pour rétablir le contact avec son guide et sa mine massacrée.
Mais Zian n’avait rien à dire... non, Zian n’avait vraiment rien à répondre à ça. Zian était vide, on ne peut plus vide. D’un de ces vides qui vous vide d’un coup. « Nanette... peut-être un nom à la con, juste une fille des Praz ?! Oui peut-être bien, mais qu’est-ce que ça pouvait lui foutre après tout ?!... Et de quoi se mêlait-elle avec ses grands airs de ne pas y toucher et qui se léchait quand même les lèvres en attendant qu’un alpiniste de roman la fasse jouir sur le sommet du Mont-blanc ».
Ce vide immense, cette éclaboussure torride du temps qui passe dans l’obscurité d’une vie sans elle? Oui, ce vide... cette immensité béante, ce précipice des sentiments, tout ce qu’il n’en reste rien à la fin. Des mots creux, des phrases maigres, un tas de paragraphes informatisés qui défendent les lignes de nos plannings modernes, tout ce qu’on peut coucher comme conneries sur du papier glacé pour soigneusement éviter les hauteurs un peu folles du monde sensible. Oui, j’en étais resté là de ma relation avec la mer, un lit vide, la tronche verte... des projets de voyages dans une station balnéaire avec elle... mille raisons d’apprendre à nager sur une côte italienne baignée d’un soleil de plomb. Un poids considérable sous mes pompes de montagne un peu molles... elle... le vertige d’une nuit amoureuse sur une autoroute brûlée de la vallée d’Aoste. Un parking par 40° à l’ombre juste derrière le tunnel du Mont-blanc. Une scène de baise sur l’asphalte collé aux pneus. Un coupé sport avec des sièges « Baquet » pour jouer les virtuoses dans les virages et frimer à cent à l’heure avant qu’il ne recommence à retomber des cordes sur le bitume réchauffé. Le vide, un truc pour arrêter de déborder tout le temps. Oui, voilà... j’aurai dû vous dire avant tout qu’au lieu des hauteurs, naissaient aussi les pentes raides, les rampes obliques, mille déclinaisons négatives. Je pensais à ce vide-là, à tout ce qu’on pouvait balancer dedans sans que ça se voit ! ses histoires d’amour comme ses envies de gerber ; tout ce qui fout le camp comme l’eau réchauffée des glaciers et le peu qu’il restait de la morale commerçante. Le vide... : un trou avec rien d’dans ! Le vide... et j’aurais préféré vous parler d’absence plutôt que d’une possibilité de vacuité dans mon discours amoureux, un principe d’incertitude dans le domaine de la physique quantique. J’avais mal à ce vide-là, oui ! j’avais mal au vide, une épreuve de force à l’échelle de la matière entre tout ce qu’une société moderne était capable d’aspirer de mon énergie vitale et le nombre d’atomes considérable qui cherchaient à me tirer les neurones vers le bas. Le vide... et nous n’aurions pas fini d’en parler
Elle n’avait pas répondu d'emblée ce qu’elle pensait vraiment. « Elle », une petite voix à qui je m’adressais quelquefois lorsqu’il m’arrivait de passer trop de temps seul et loin des sommets. Une voix trompe-le vide, une petite amie de longue date qui subordonnait mes silences et flattait mon ego. Elle... une petite « Julie » débordante de vie et de grand amour pour ce que je lui écrivais dans le noir à propos d’un décor de montagne et de tout ce que je cachais dedans. « Elle », sa robe toute blanche et le teint légèrement rosé de ses joues. Tout ce qu’on se promettait sans jamais se mentir et qui se réalisait vraiment.
Le vide... vous disais-je. Pas exactement une absence... (ce qui aurait d’abord supposé qu’il existât quelque chose qui eut pu me remplir le cœur dans un passé antérieur, et suffisamment pour que j’essaye franchement de rattraper le temps perdu à essayer de lui plaire encore !) Non, mais cette idée d’une loi effrayante du temps qui s’arrête à cause de tout ce qui s’agite pour rien autour de vous. Une idée pornographique du mouvement, une simple impulsion de la mobilité. Le vide, tout ce qu’on essaye de le remplir chaque jour de manière obscène... une véritable poubelle. ce vide-là rempli d’amour gâché, un sacré coup de pompe en réalité ! Ce vide-là, indissociable d’une large gamme anecdotique de péripéties humaines et j’aurais pu vous dire aussi comment ces gouffres atroces forçaient les chemins de traverse, les itinéraires lumineux dans des parois friables. Oui, comment ce vide-là « lumineux » plutôt que cet effet de « remplissage », ce trop plein de tout... Comment ce grand vide primordial avait permis le hasard d’une vie sur terre, les horizons marins, la monnaie d’échange et les lois du marché, la publicité, la télévision, la société du « management » ; les leurres de tout un monde artificiel qui nous aveugle à l’ombre des grands escarpements naturels. Comment ce vide-là... un tas de curetons et leurs idées toutes faites qui s’escrimaient à nous raconter le contraire du haut de leurs cathédrales cyniques... Des siècles d’obscurantisme catholique romain responsable de la disparition totale du panorama montagnard de l’espace philosophique et social européen avant qu’une bande d’anticonformistes ne ravive les feux d’une esthétique de l’énergie antique(1).
1- Comment un clergé tout puissant s’était chargé depuis le début de l’ère chrétienne de répandre l’image d’une « montagne maudite » reléguant sous son inquisition les mythes antiques de l’Olympe, du Parnasse d’Apollon ou du Caucase de Prométhée au rang d’une architecture démoniaque dans l’esprit d’un monde urbain dominant. La montagne considérée au mieux comme « espace vide » par le monde médiéval, un territoire stérile, un non lieu.
Le vide, par lequel tout avait commencé, et je ne faisais là qu’explorer une raison banale des mille et une motivations qui lançaient un alpiniste à la conquête de murailles impossibles. Un véritable mystère en vérité, un rapport un peu flou à l’existence, Un œdipe, un règlement de compte avec une image tutélaire répressive fantomatique ou castratrice. Bref, la montagne comme une forme de « résilience » et la grande histoire de l’alpinisme en était toute remplie ; L’esquive... Des pentes immaculées pleines de sang intérieur. L’esquive. Un procédé d’évitement pour arrêter de grandir vraiment à la hauteur d’un tas de valeurs universelles auxquelles on ne comprenait plus rien. Et Lionel Terray, encore de... « slamer » ses souvenirs, ses crève-cœur : La plupart des alpinistes sont de farouches individualistes écrivait-il dans Les conquérants. « Une bande d’individualistes. » Bien sûr ! pourquoi n’y avais-je pas songé plus tôt ?! Une bande de petits salauds d’individualistes, seulement préoccupés par la dimension de leur petite personne sur les cimes comme "Bodhi" et sa bande de surfeurs accrochés à leurs vagues, complètement déjantés dans "Point break"(2), le film culte de Kathryn Bigelow. Mais tout était tellement plus compliqué !
JL GANTNER
2- Aucun équivalent dans la cinématographie de montagne, sinon quelques débilités « ramboesques » dans Cliffhanger ; des trucs usés de Marcel Ichac ; Mort d’un guide de Jacques Ertaud ou La voie Jackson de Gérard Herzog et Daniel Losset.
(UN DE CES ROMANS À FINIR... COMME UN TAS DE TRUCS QUI ATTENDENT QUE LA NEIGE FONDE SUR UNE TERRASSE CHAMONIARDE POUR TERMINER CE QU'ON AVAIT UN JOUR COMMENCÉ SOUS LES SOMMETS ALPINS. )
"Les filles ont peur du vide, c’est pour ça qu’elles se remplissent, les filles ont peur du vide et les mecs encore plus !"
Un peu partout sur le parquet, des tubes d’acryliques et des pinceaux s’entassaient durcis entre une paire de mousquetons, des piolets et quelques dizaines de topos d’escalade ; un tapis de bouquins, des livres de poche et quelques Gallimard dans leur édition originale... Proust qu’il adorait, le testament à l’anglaise de Jonathan Coe, un Œdipe (celui que vous voudrez !) Bukowski traduit par JF. Bizot au-dessus d’un Jean d’Ormesson qu’il n’avait jamais ouvert au-delà de ce qu’il lui paru convenable de le lire « seulement » sans gerber ; un truc d’Arthur Miller dans une couverture orange, un Becket, du Camus et Joyce, le fantastique Ulysse de Joyce en Folio. pas mal de disques d’Ar&b pour réussir à écrire avec la bonne rythmique et un ordinateur portable connecté sur My space. Zian et ses nombreux « friends » dans la communauté d’ « amis » la plus importante du Web. Pas mal de « pseudos » musiciens surmotivés, des graphistes, des photographes et puis des top models aussi, des filles qui voulaient faire carrière en string avec le spam d’une grande marque collé sur le cul. Tout un tas de correspondants qui lisaient la même chose que lui ou pas, qui aimaient la montagne ou pas... mais qui préféraient quand même les castings de la popstars sur M6 (un « prime » aux allures de radio crochet réactualisé pour la télé comme on avait déjà kiffé grave le film d’Alan Parker "Fame" dans les années quatre-vingt.)
- Un film vraiment naze non ? Tu aimes Modiano ?
Brigitte tenait dans ses mains un Kerouac tout corné. Sur la route, un truc complètement culte de la beat generation, malgré tout ce que les critiques de la presse littéraire autorisée avaient dégueulé sur lui comme insanités lors de sa sortie en 1957... Kerouac, un clodo qui préférait écrire à la faux, une faux d’une longueur immense pour débiter des montagnes "et il fallait qu’elle débite des montagnes lointaines, qu’elle fauche leurs sommets, et elle devait avoir une autre envergure pour atteindre les montagnes lointaines et du même coup trancher tous les poteaux le long de la route, tous ces poteaux qui galopaient l’un derrière l’autre". Un type au bout du rouleau et sa quête d’amour céleste qui ne l’avait conduit nulle part.
- Je dis Modiano à cause de Vincent Delerme, tu aimes Delerme ?
- Non, j’aime pas, c’est chiant.
- Tu me fais la gueule ?
- Non.
- Tu ne m’aimes plus ?
- Oui, bien sûr que je t’aime.
Zian venait de s’allumer une clope.
- Mais qu’est ce que tu fais, je ne t’ai jamais vu fumer.
- Je ne fume pas, j’allume une clope, c’est tout.
- Alors donne-m’en une aussi.
Brigitte s’était assise sur le seul fauteuil du coin salon juste à côté de l’évier (un club au cuir râpé, récupéré chez un faillitaire de Sallanches après que sa petite amie de Nanette se fut barrée avec tous les meubles du salon qui faisait aussi cuisine et chambre à coucher). La cliente, largement émancipée dans son nouveau costume de nouvelle petite amie préférée du « guide le plus séduisant de toute l’histoire de la littérature alpine », avait d’abord retiré sa paire de pompes Chanel à cinq mille boules acheté la veille dans la boutique de produits de Karl Lagerfeld (l’apôtre de la haute couture française et du régime hyper protéiné, son col serré, qui comprimait ses amygdales au point de ne plus réussir à déglutir quoi que ce soit de sympa pour personne). Un pauvre type et sa cour de mange merde qui tournaient autour de son cerveau rebouté aux excédents de greluches anorexiques.
- Mais qu’est-ce que tu as à toujours râler sur tout, les gens, les pubs, la mode et la télé que tu ne regardes même pas. On n’est pas bien là juste toi et moi ? profite Zian... profite, c’est tout !
Brigitte poursuivait son épluchage méticuleux, une paire de bas de soie planquée sous son jean délavé, un string en dentelles Chantal Thomas. Zian n’avait pas bougé de la fenêtre, les yeux perlés d’une mélancolie voilée par la fumée de sa Lucky Strike et le parfum un peu fort de sa pétasse de luxe qui terminait son strip sur une intro de guitare sèche passée d’âge.
- Tu me dis si je te fais chier Zian ? t’as pas envie ? tu penses à ta serveuse c’est ça ? tu crois quelle baise avec ton pote grand reporter et ça te fout le bourdon ?... Allez, te mines pas le Diot ! viens-y manger vinzou, c’est tout payé ! Brigitte, crâneuse, un peu chaude après deux verres de Gentiane et qui voulait rire un peu, s’efforça de caser trois mots de vocabulaire local sans rien gâcher de sa généreuse chorégraphie. Une tentative acrobatique pour rétablir le contact avec son guide et sa mine massacrée.
Mais Zian n’avait rien à dire... non, Zian n’avait vraiment rien à répondre à ça. Zian était vide, on ne peut plus vide. D’un de ces vides qui vous vide d’un coup. « Nanette... peut-être un nom à la con, juste une fille des Praz ?! Oui peut-être bien, mais qu’est-ce que ça pouvait lui foutre après tout ?!... Et de quoi se mêlait-elle avec ses grands airs de ne pas y toucher et qui se léchait quand même les lèvres en attendant qu’un alpiniste de roman la fasse jouir sur le sommet du Mont-blanc ».
Ce vide immense, cette éclaboussure torride du temps qui passe dans l’obscurité d’une vie sans elle? Oui, ce vide... cette immensité béante, ce précipice des sentiments, tout ce qu’il n’en reste rien à la fin. Des mots creux, des phrases maigres, un tas de paragraphes informatisés qui défendent les lignes de nos plannings modernes, tout ce qu’on peut coucher comme conneries sur du papier glacé pour soigneusement éviter les hauteurs un peu folles du monde sensible. Oui, j’en étais resté là de ma relation avec la mer, un lit vide, la tronche verte... des projets de voyages dans une station balnéaire avec elle... mille raisons d’apprendre à nager sur une côte italienne baignée d’un soleil de plomb. Un poids considérable sous mes pompes de montagne un peu molles... elle... le vertige d’une nuit amoureuse sur une autoroute brûlée de la vallée d’Aoste. Un parking par 40° à l’ombre juste derrière le tunnel du Mont-blanc. Une scène de baise sur l’asphalte collé aux pneus. Un coupé sport avec des sièges « Baquet » pour jouer les virtuoses dans les virages et frimer à cent à l’heure avant qu’il ne recommence à retomber des cordes sur le bitume réchauffé. Le vide, un truc pour arrêter de déborder tout le temps. Oui, voilà... j’aurai dû vous dire avant tout qu’au lieu des hauteurs, naissaient aussi les pentes raides, les rampes obliques, mille déclinaisons négatives. Je pensais à ce vide-là, à tout ce qu’on pouvait balancer dedans sans que ça se voit ! ses histoires d’amour comme ses envies de gerber ; tout ce qui fout le camp comme l’eau réchauffée des glaciers et le peu qu’il restait de la morale commerçante. Le vide... : un trou avec rien d’dans ! Le vide... et j’aurais préféré vous parler d’absence plutôt que d’une possibilité de vacuité dans mon discours amoureux, un principe d’incertitude dans le domaine de la physique quantique. J’avais mal à ce vide-là, oui ! j’avais mal au vide, une épreuve de force à l’échelle de la matière entre tout ce qu’une société moderne était capable d’aspirer de mon énergie vitale et le nombre d’atomes considérable qui cherchaient à me tirer les neurones vers le bas. Le vide... et nous n’aurions pas fini d’en parler
Elle n’avait pas répondu d'emblée ce qu’elle pensait vraiment. « Elle », une petite voix à qui je m’adressais quelquefois lorsqu’il m’arrivait de passer trop de temps seul et loin des sommets. Une voix trompe-le vide, une petite amie de longue date qui subordonnait mes silences et flattait mon ego. Elle... une petite « Julie » débordante de vie et de grand amour pour ce que je lui écrivais dans le noir à propos d’un décor de montagne et de tout ce que je cachais dedans. « Elle », sa robe toute blanche et le teint légèrement rosé de ses joues. Tout ce qu’on se promettait sans jamais se mentir et qui se réalisait vraiment.
Le vide... vous disais-je. Pas exactement une absence... (ce qui aurait d’abord supposé qu’il existât quelque chose qui eut pu me remplir le cœur dans un passé antérieur, et suffisamment pour que j’essaye franchement de rattraper le temps perdu à essayer de lui plaire encore !) Non, mais cette idée d’une loi effrayante du temps qui s’arrête à cause de tout ce qui s’agite pour rien autour de vous. Une idée pornographique du mouvement, une simple impulsion de la mobilité. Le vide, tout ce qu’on essaye de le remplir chaque jour de manière obscène... une véritable poubelle. ce vide-là rempli d’amour gâché, un sacré coup de pompe en réalité ! Ce vide-là, indissociable d’une large gamme anecdotique de péripéties humaines et j’aurais pu vous dire aussi comment ces gouffres atroces forçaient les chemins de traverse, les itinéraires lumineux dans des parois friables. Oui, comment ce vide-là « lumineux » plutôt que cet effet de « remplissage », ce trop plein de tout... Comment ce grand vide primordial avait permis le hasard d’une vie sur terre, les horizons marins, la monnaie d’échange et les lois du marché, la publicité, la télévision, la société du « management » ; les leurres de tout un monde artificiel qui nous aveugle à l’ombre des grands escarpements naturels. Comment ce vide-là... un tas de curetons et leurs idées toutes faites qui s’escrimaient à nous raconter le contraire du haut de leurs cathédrales cyniques... Des siècles d’obscurantisme catholique romain responsable de la disparition totale du panorama montagnard de l’espace philosophique et social européen avant qu’une bande d’anticonformistes ne ravive les feux d’une esthétique de l’énergie antique(1).
1- Comment un clergé tout puissant s’était chargé depuis le début de l’ère chrétienne de répandre l’image d’une « montagne maudite » reléguant sous son inquisition les mythes antiques de l’Olympe, du Parnasse d’Apollon ou du Caucase de Prométhée au rang d’une architecture démoniaque dans l’esprit d’un monde urbain dominant. La montagne considérée au mieux comme « espace vide » par le monde médiéval, un territoire stérile, un non lieu.
Le vide, par lequel tout avait commencé, et je ne faisais là qu’explorer une raison banale des mille et une motivations qui lançaient un alpiniste à la conquête de murailles impossibles. Un véritable mystère en vérité, un rapport un peu flou à l’existence, Un œdipe, un règlement de compte avec une image tutélaire répressive fantomatique ou castratrice. Bref, la montagne comme une forme de « résilience » et la grande histoire de l’alpinisme en était toute remplie ; L’esquive... Des pentes immaculées pleines de sang intérieur. L’esquive. Un procédé d’évitement pour arrêter de grandir vraiment à la hauteur d’un tas de valeurs universelles auxquelles on ne comprenait plus rien. Et Lionel Terray, encore de... « slamer » ses souvenirs, ses crève-cœur : La plupart des alpinistes sont de farouches individualistes écrivait-il dans Les conquérants. « Une bande d’individualistes. » Bien sûr ! pourquoi n’y avais-je pas songé plus tôt ?! Une bande de petits salauds d’individualistes, seulement préoccupés par la dimension de leur petite personne sur les cimes comme "Bodhi" et sa bande de surfeurs accrochés à leurs vagues, complètement déjantés dans "Point break"(2), le film culte de Kathryn Bigelow. Mais tout était tellement plus compliqué !
JL GANTNER
2- Aucun équivalent dans la cinématographie de montagne, sinon quelques débilités « ramboesques » dans Cliffhanger ; des trucs usés de Marcel Ichac ; Mort d’un guide de Jacques Ertaud ou La voie Jackson de Gérard Herzog et Daniel Losset.