"MORT D'UN GUIDE"
(1930-2011)
WALTER BONATTI
(1930-2011)
WALTER BONATTI
PILIER BONATTI / FACE SUD-OUEST DU PETIT DRU / ED - 500M
(OUVERTURE : WALTER BONATTI EN SOLO DU 17 AU 22 AOÛT 1955)
« Je sais qu’il y a toujours en nous des portes à ouvrir. Je reconnais que les difficultés ne mettent pas à l’épreuve la force de l’homme, mais sa faiblesse. En outre ce qui me fascine, c’est de placer l’existence de la réalité seulement dans le reflet de son rêve ; je tiens en effet pour assuré que l’on vit comme l’on rêve. A d’autres questions difficiles que je me pose, je me suis répondu que la vie, en définitive, n’a de sens que si on la vit en se donnant à fond, en cherchant à réaliser tout ce qu’on a en soi ». WALTER BONATTI / MONTAGNES D’UNE VIE / 1997/ TRADUIT PAR J & MN PASTUREAU ET A PASQUALI / ARTHAUD.
J’ai appris la nouvelle comme beaucoup, dans quelques entrefilets de la presse nationale. La mort d’un héros considérable, la disparition d’une légende de l’alpinisme contenue dans une « brève ». Dix lignes laconiques sur une dépêche AFP du 13 septembre 2011 et reprises du bout des lèvres en cul de gazettes… Le grand Walter Bonatti, mort à Rome à l’âge de 81 ans. Et cette idée d’emblée, d’une page définitivement tournée avec une certaine conception du monde que le grimpeur italien nous avait transmise tout au long de sa vie grâce à ses exploits. Des « exploits » —Et il faudrait d’abord s’entendre sur le mot— mais surtout cette formidable manière qu’avait eu cet homme-là de les accomplir. Des morceaux de bravoure sans trucage et sans fanfaronnade d’aucune sorte pour les proclamer. Des « exploits » avec la noblesse qui devrait accompagner toute performance de cette nature et retranchée de ce procédé moderne de babillardage étalé sur nos écrans à paillettes vulgarisés. Bonatti, l’homme et ce sens de la droiture sans équivoque qui accompagnait son goût prononcé pour une compétition d’un autre temps. Cette école de pensée un peu vaine aujourd’hui, dérisoire et puérile… Un vrai gâchis ! Bonatti. J’ai dû le lire mille fois lorsque j’avais 16 ans. « A mes montagnes », le titre était simple comme l’objet littéraire qu’il désignait. Le récit sans fioritures de quelques premières qui ont marqué nos carrières d’alpinistes et conditionné notre manière d’en découdre avec les hauteurs considérables.
Point de fanfaronnade disais-je… Juste des faits. Probes, et sans bricolage. En réalité, la pire façon de s’instruire dans le but de ce qui nous attendrait une fois nos corps meurtris redescendus à l’altitude des plaines et de leur formidable économie de marché. Bonatti, mais qu’on préférait toujours appeler « Bonatte » entre nous… Celui là nous avait pourtant prévenu. Lui qui fit les frais de toutes les bassesses et de toutes les infamies à son encontre. Où l’on se souviendra par exemple de ce qu’un Club Alpin Italien en mal d'estime et de réputation s’était donné la peine de répandre sa soupe odieuse sur « l’affaire » du K2. Une accusation sordide balancée sur le dos d’un jeune prodige de la montagne, juste le jour où celui avait failli donné sa vie pour poncer le vernis tout neuf de son pays natal comme celui de l’institution alpine nationale qui avait cru bon vouloir l’enrôler dans ses combines.
Le K2… et les cinquante années qui auront été nécessaires avant que le la société alpine italienne ne daigne enfin rétablir la vérité sur le rôle joué par le grand homme dans cette magistrale entreprise. Celui d’un brave. Ou cet autre procès encore, comme une obscénité répandue dans les journaux à l’époque. Cette tragédie vécue par les jeunes alpinistes Vincendon et henry l’hiver 1956, et qui voudrait à certains égards continuer de se cramponner au nom de Walter Bonatti. Par commodité peut-être ?!... (Le guide avait croisé le chemin des pauvres hères sur la route du mont-Blanc balayé par une tempête effroyable, mais sans réussir pour autant à convaincre les deux grimpeurs en perdition de le suivre, lui et son client jusqu’au bout). À la pureté des cimes conquises par cet homme d’exception, se sont synchronisées ses images contradictoires de crasse médiatique et de boniments de tout acabit. De vils arguments propagés par ceux-là mêmes qui sortiraient leur plus beau costard aux funérailles d’un Maurice Herzog (le soi-disant « alpiniste » français…) pour couvrir d’éloges cette vieille « fripouille » du seizième arrondissement parisien en ignorant le nom illustre de ce bon Louis Lachenal qui l’avait pourtant conduit au sommet ; n’en déplaise forcément à Monsieur le ministre aux doigts gelés de la jeunesse et des sports d’alors et à ses amis tout aussi formidables du Club alpin français qui ont toujours tout cautionné dans cette histoire d’un « premier 8000 » remporté par la France en 1950 à l’Annapurna. (Lire à ce sujet l’inévitable : « Annapurna, une affaire de cordée ». Cette enquête un temps interdite… rédigée par Denis Roberts aux Éditions Guérin.)
Walter Bonatti a multiplié ses ascensions comme d’autres avaient continué d’affuter leur poésie singulière. Loin du vacarme convenu. Face Est du Grand Capucin en 1951 ; l’ouverture en solo de la face Sud-Ouest du Petit Dru l’année 1955 sur le pilier qui porte dorénavant son nom (un monument absolu de la mythologie alpine, rayé en partie des topos à la suite du grand éboulement de 2005. Sa solitaire encore, hivernale cette fois dans la face nord du Cervin en 1965… L’homme, le guide de Courmayeur avant de travailler comme grand reporter et de parcourir le monde avec son matériel photographique ; vainqueur de quelques derniers grands problèmes alpins comme la face nord des Grandes Jorasses en hiver avec son ami Cosimo Zappelli en 1963 ; le voyageur rescapé du pilier du Freney avec Pierre Mazeaud et Roberto Gallieni lors de cette grande tragédie survenu au Pilier Central en 1961 (la mort d'Andréa Oggioni, Pierre Kohlmann, Robert Guillaume et Antoine Vieille lors de la tentative d’un repli terrifiant dans la tempête du versant italien du Mont-Blanc). « A mes montagnes »… et son cortège funéraire à trainer derrière soi. Bonatte… Le nom qu’on gardait toujours à la bouche comme une ligne de conduite pour ne pas dévier de la route que nous nous étions promis de suivre à seize ans. « Juste » un père pour nous accompagner dans la bataille. Tchao Bonatte.
JLG
J’ai appris la nouvelle comme beaucoup, dans quelques entrefilets de la presse nationale. La mort d’un héros considérable, la disparition d’une légende de l’alpinisme contenue dans une « brève ». Dix lignes laconiques sur une dépêche AFP du 13 septembre 2011 et reprises du bout des lèvres en cul de gazettes… Le grand Walter Bonatti, mort à Rome à l’âge de 81 ans. Et cette idée d’emblée, d’une page définitivement tournée avec une certaine conception du monde que le grimpeur italien nous avait transmise tout au long de sa vie grâce à ses exploits. Des « exploits » —Et il faudrait d’abord s’entendre sur le mot— mais surtout cette formidable manière qu’avait eu cet homme-là de les accomplir. Des morceaux de bravoure sans trucage et sans fanfaronnade d’aucune sorte pour les proclamer. Des « exploits » avec la noblesse qui devrait accompagner toute performance de cette nature et retranchée de ce procédé moderne de babillardage étalé sur nos écrans à paillettes vulgarisés. Bonatti, l’homme et ce sens de la droiture sans équivoque qui accompagnait son goût prononcé pour une compétition d’un autre temps. Cette école de pensée un peu vaine aujourd’hui, dérisoire et puérile… Un vrai gâchis ! Bonatti. J’ai dû le lire mille fois lorsque j’avais 16 ans. « A mes montagnes », le titre était simple comme l’objet littéraire qu’il désignait. Le récit sans fioritures de quelques premières qui ont marqué nos carrières d’alpinistes et conditionné notre manière d’en découdre avec les hauteurs considérables.
L'ITINÉRAIRE DE LA DESCENTE DU PILIER DU FRENEY (P264 & 265)
"A MES MONTAGNES" W. BONATTI / EDITION ORIGINALE 1962
"A MES MONTAGNES" W. BONATTI / EDITION ORIGINALE 1962
Point de fanfaronnade disais-je… Juste des faits. Probes, et sans bricolage. En réalité, la pire façon de s’instruire dans le but de ce qui nous attendrait une fois nos corps meurtris redescendus à l’altitude des plaines et de leur formidable économie de marché. Bonatti, mais qu’on préférait toujours appeler « Bonatte » entre nous… Celui là nous avait pourtant prévenu. Lui qui fit les frais de toutes les bassesses et de toutes les infamies à son encontre. Où l’on se souviendra par exemple de ce qu’un Club Alpin Italien en mal d'estime et de réputation s’était donné la peine de répandre sa soupe odieuse sur « l’affaire » du K2. Une accusation sordide balancée sur le dos d’un jeune prodige de la montagne, juste le jour où celui avait failli donné sa vie pour poncer le vernis tout neuf de son pays natal comme celui de l’institution alpine nationale qui avait cru bon vouloir l’enrôler dans ses combines.
Le K2… et les cinquante années qui auront été nécessaires avant que le la société alpine italienne ne daigne enfin rétablir la vérité sur le rôle joué par le grand homme dans cette magistrale entreprise. Celui d’un brave. Ou cet autre procès encore, comme une obscénité répandue dans les journaux à l’époque. Cette tragédie vécue par les jeunes alpinistes Vincendon et henry l’hiver 1956, et qui voudrait à certains égards continuer de se cramponner au nom de Walter Bonatti. Par commodité peut-être ?!... (Le guide avait croisé le chemin des pauvres hères sur la route du mont-Blanc balayé par une tempête effroyable, mais sans réussir pour autant à convaincre les deux grimpeurs en perdition de le suivre, lui et son client jusqu’au bout). À la pureté des cimes conquises par cet homme d’exception, se sont synchronisées ses images contradictoires de crasse médiatique et de boniments de tout acabit. De vils arguments propagés par ceux-là mêmes qui sortiraient leur plus beau costard aux funérailles d’un Maurice Herzog (le soi-disant « alpiniste » français…) pour couvrir d’éloges cette vieille « fripouille » du seizième arrondissement parisien en ignorant le nom illustre de ce bon Louis Lachenal qui l’avait pourtant conduit au sommet ; n’en déplaise forcément à Monsieur le ministre aux doigts gelés de la jeunesse et des sports d’alors et à ses amis tout aussi formidables du Club alpin français qui ont toujours tout cautionné dans cette histoire d’un « premier 8000 » remporté par la France en 1950 à l’Annapurna. (Lire à ce sujet l’inévitable : « Annapurna, une affaire de cordée ». Cette enquête un temps interdite… rédigée par Denis Roberts aux Éditions Guérin.)
Walter Bonatti a multiplié ses ascensions comme d’autres avaient continué d’affuter leur poésie singulière. Loin du vacarme convenu. Face Est du Grand Capucin en 1951 ; l’ouverture en solo de la face Sud-Ouest du Petit Dru l’année 1955 sur le pilier qui porte dorénavant son nom (un monument absolu de la mythologie alpine, rayé en partie des topos à la suite du grand éboulement de 2005. Sa solitaire encore, hivernale cette fois dans la face nord du Cervin en 1965… L’homme, le guide de Courmayeur avant de travailler comme grand reporter et de parcourir le monde avec son matériel photographique ; vainqueur de quelques derniers grands problèmes alpins comme la face nord des Grandes Jorasses en hiver avec son ami Cosimo Zappelli en 1963 ; le voyageur rescapé du pilier du Freney avec Pierre Mazeaud et Roberto Gallieni lors de cette grande tragédie survenu au Pilier Central en 1961 (la mort d'Andréa Oggioni, Pierre Kohlmann, Robert Guillaume et Antoine Vieille lors de la tentative d’un repli terrifiant dans la tempête du versant italien du Mont-Blanc). « A mes montagnes »… et son cortège funéraire à trainer derrière soi. Bonatte… Le nom qu’on gardait toujours à la bouche comme une ligne de conduite pour ne pas dévier de la route que nous nous étions promis de suivre à seize ans. « Juste » un père pour nous accompagner dans la bataille. Tchao Bonatte.
JLG