lundi 20 juillet 2009

LE COUP DE CHAUD / XXIV



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-24-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 13
L'APOTHICAIRE




Sa première pensée fut d’abord d’essayer de se souvenir d’un ciel triste. Un amas noir de volutes épousant la lune en haillons. L’écharpe d’une tempête cosmique en carcasse déglinguée et les vagues ruines sidérales condamnées à s’effriter en milliard de molécules de vie foutues derrière elle. Un temps... à ne pas mettre une météorite dehors, un vrai temps de chien ! Tony fit mine de ne rien remarquer, ni la petite robe rose à bretelles de soie qu’il lui avait achetée pour son anniversaire et qu’elle enfila en hâte à même sa peau nue. Ni la paire de talons aiguilles dont Tony nota qu’elle n’avait même pas pris la peine attacher les boucles en cuir sur ses chevilles. À un peu plus de 21H (heure française), huit ans après le premier vol dans l’espace de Youri Gagarine, et à la suite d’un voyage de 70 heures depuis l’orbite terrestre à la vitesse d’environ 4 000 KM/H... la mission Apollo XI, venait de se poser sur la surface poussiéreuse et stérile du satellite naturel de la terre sous l’œil médusé de 500 millions de téléspectateurs rivés à leur poste un peu partout sur les cinq continents. Un exploit considérable dans l’histoire encore balbutiante de la retransmission d’images et sons synchrones en direct. Tony prévit alors qu’elle feindrait d’ignorer le miroir mural accroché juste au-dessus du coffre à chaussures, et qu’elle profiterait d’un reflet moins ostensible de la fenêtre ou d’un verre à photo pour vérifier ses cheveux, sa bouche, ses yeux faits et l’ajustement de sa robe sur ses seins. Ce qu’elle fit à peine deux minutes plus tard d’un coup d’œil retenu dans la profondeur grise du tube cathodique, et juste avant de se précipiter sur le palier pour sauter dans l’escalier commun. Une cinquantaine de marches environ pour rejoindre le rez-de-chaussée et la rue Georges Clemenceau complètement vide... Tony avait additionné le son de ses pas comme une somme de coups à encaisser dans l’estomac. Jules était parfaitement endormi dans ce qu’il lui servait de couchage, improvisé sur le sol en linoléum. À la télévision, Les commentateurs officiels tentèrent d’expliquer une interruption momentanée du direct avec Huston et la mission débarquée sur le sol lunaire, période pendant laquelle les astronautes auraient à régler les derniers détails avant leur sortie du LEM dans les heures qui suivraient.

De mon côté, j’avais continué d’interroger mon interlocuteur qui disait ne plus se souvenir de rien d’un peu important à part d’un disque de John Lennon et Yoko Ono enregistré un an plus tôt quelque part en Europe ou sur le continent nord américain. L’album s’appelait Two virgines et comprenait deux faces expérimentales d’une durée de 14 minutes chacune dans l’esprit du mythique album blanc des Beatles pressé quelques jours plus tard. Jules, se souvenait que le disque avait fait scandale à cause de sa pochette sur laquelle les deux artistes posaient complètement nus, « une face à l’endroit, une fesse à l’envers ». (Je me souviens que sa langue avait fourché) Un détail dont il trouvait lui-même très étrange de l’avoir gardé en mémoire aussi précisément alors qu’il n’avait qu’à peine quatre ans lorsque le disque avait été interdit. Jules se rappelait de pareilles vétilles, comme celui d’un pot de géranium très fourni, suspendu à la fenêtre du salon-cuisine-salle-à-manger qui lui avait aussi servi de chambre et de salle de jeux. J’avais été littéralement fasciné par tout ce que ce type pouvait savoir à propos des géraniums. Comment par exemple, la famille comptait cinq genres et environ 750 espèces dont seules quelques variétés répondaient aux critères intraitables du commerce actuel... Un insecticide naturel extrêmement efficace contre les moustiques ou les mouches. Comment il fallait les arroser tous les jours en été en évitant les heures les plus chaudes. Comment il fallait supprimer les tiges étiolées au printemps ou leur choisir des pots de taille réduite afin d’empêcher les plantes de produire trop de feuilles au détriment de leur potentiel florifère. Jules affirmait que toutes ces espèces (principalement des herbes...) étaient capables de rendre leurs propriétaires plus indépendants et courageux, capables de mieux s’affirmer dans la vie. Un remède végétal pour guérir des troubles de l’âme, des blessures affectives et des sentiments bafoués... À propos de fleurs justement ! Et pour rester un moment sur le sujet du jardin secret de Jules Chaumont. Je tenais à vous rapporter ici cette image tout à fait inédite du personnage dans son tablier vert suspendu au cou et ficelé à la taille au-dessus d’un pantalon de toile bleue. Jules avait d’abord insisté pour me parler de son expérience de botaniste amateur devant une table à semis en hêtre recouverte de tôle galvanisée. L’établi de fleuriste était aménagé sous un ensemble symétrique de plaques de verre trempé, perçant la toiture à l’endroit de l’appartement où nous avions pris rendez-vous. Par précaution, ou avec cette sorte d’intuition qui accompagne généralement les rencontres capitales... j’avais pris soin d’enregistrer un maximum d’éléments pour me souvenir plus tard du décor. En vrac : Des boîtes d’apothicaires serrées entre-elles et toutes sortes de fioles rigoureusement étiquetées sur un bureau à cylindre posé contre une cloison de plantes vertes. Une collection complète de cahiers à spirale, empilés sur l’étagère d’une petite bonnetière toute simple à bords droits dont il manquait la porte pour refermer le meuble. La pièce, éclairée à la manière d’un grand atelier d’artiste, comprenait également plusieurs caisses en osiers, dans le genre malle des indes, installées sous des rideaux de mini bambous d’intérieur et fourrées d’un bric-à-brac incommensurable de livres anciens, de catalogues de marques et de notices techniques ; et puis un cartonnier trois colonnes en merisier de très belle facture presque entièrement enseveli sous une dégringolade de clématites. J’avais aussi pris note d’un store blanc perlé, coulissant sur au moins trois mètres de long et responsable d’une lumière impeccablement diffusée sur une partie de ce que j’aurais spontanément décrit comme l’endroit le plus significatif d’une serre-appartement, occupée par un tapis de fougères brumisées grâce à un système de récupération d’eau de pluie habilement dissimulé dans le décor. La disposition de l’écran qui séparait la pièce en largeur... coïncidait sur l’un des deux murs principaux, avec une lourde tenture encadrée, dans la matière d’une toile de Jouy (un « Chintz » comme disent les anglais). Un motif surchargé sur fond bistre représentant une scène pastorale sous des sommets alpins ou ce genre de colin maillard à la manière de Jean-Baptiste Huet, (je ne saurais me souvenir tout à fait du dessin). Enfin, séparés par des bandes de couleur unie gris satiné, des sujets florentins ébènes sur fond rouge cramoisi interrompaient une soie de Chine d’un violet d’améthyste, créant l’effet d’un ensemble alterné de lais décoratifs à la fois moderne et sophistiqué. Un simple détail encore : ce nombre phénoménal de références cinématographiques classées selon leurs années de production... Un mur entier d’enregistrements vidéo en palissandre, dont les étiquettes collées sur la tranche, toutes identiques et numérotées... renvoyaient à une nomenclature sérieuse dans une collection de registres en forme d’agendas. Des films de guerre des années soixante-dix, des documentaires américains sur le Vietnam ou les activités secrètes de la NASA pendant la guerre froide... Des vieux films russes et suédois, des bandes de Vertov, de Sjöström ou de Murnau. Jules m’avait demandé si j’avais déjà vu Les mains d’Orlac ? L’œuvre qu’il préférait du cinéaste expressionniste allemand Robert Wiene. « En plein Bauhaus ». J’avais juste répondu « Man Ray, Buñuel... » le peu que je savais des surréalistes à l’écran dans une période propice.


(À SUIVRE)

mercredi 15 juillet 2009

MARK RYDEN


PORTFOLIO

A propos de tout ce qu'on peut dire sur Michael Jackson...






POCHETTE DE L'ALBUM "DANGEROUS" - 1991
©MARK RYDEN





...C'est l'artiste américain Mark Ryden qui avait signé la pochette de l'album "Dangerous" en 1991.





DARK BEAR - 2009 / GHOST GIRL - 2006

WEEPING - 2003


THE MAGIC CIRCUS - 2001


SNOW WHITE



SOPHIA'S BUBBLES 2008


ROSE - 2003


JESSICA'S HOPE - 2001



VOIR LE SITE OFFICIEL DE MARK RYDEN



LE COUP DE CHAUD / XXIII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-23-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 11
POST COÏTUM ANIMAL TRISTE
(SUITE)




Une différence de plus de 6 heures...
J’avais moi-même essayé de faire le calcul : Entre 6 et 7 heures d’écart entre les deux versions. Exactement l’intervalle, entre le moment où le module Eagle s’était posé ce 20 juillet 1969 entre 21 et 22 heures, heure française et le premier pas de Neil Amstrong sur la lune à 3H56 du matin le lendemain... 21 juillet.
Un peu plus de 6 heures d’écart entre l’atterrissage du LEM et la sortie « historique » du premier homme de son module décoré d’un beau papier d’alu. Entre 6 et 7 heures... Soit très approximativement aussi, le décalage horaire entre la France et Cap Canaveral en Floride. J’avais tenté de recadrer mes calculs en temps universel codé. L’histoire de tout parfaitement vérifier, l’histoire que tout colle parfaitement.

20:17:39 UTC, le 20 juillet 1969 pour l’atterrissage, et 02:56:15 UTC, le 21 juillet 1969 pour la première empreinte du premier homme sur la lune. Soit un différentiel de 6H38’36’’ calculé en unités de temps mondial, ce qui bien sûr, ne changerait absolument rien au problème posé ici.
Qu’avait-il bien pu se passer pendant ce laps de temps d’un peu plus d’un quart de tour de terre sur elle-même dans la nuit du 20 au 21 juillet 1969 ? Je commençais de rassembler les morceaux ; quelques bribes difficiles à recoudre, mais le puzzle finissait tout de même peu à peu par prendre forme.

L’agent de la force publique à la retraite avait continué de me parler de cette journée du mois de juillet où Tony avait vraisemblablement prémédité sa rencontre avec Antoine, mais tout en évitant d’aborder cette vraisemblance. Tony, ça ne faisait toutefois plus aucun doute, avait dû guetter le retour du reporter en toute connaissance de cause, n’ignorant rien du jour, ni de l’heure où ce salaud s’était engagé de réapparaître dans son uniforme de héro rescapé du Vietnam dans le seul but de rejoindre Marie. Jules en fut persuadé le premier, à partir de quelques indices récupérés au hasard de ses investigations concernant la mort de son père. Un carnet de voyages découvert, soigneusement étiqueté dans un rayonnage de la cave. En réalité, plusieurs tomes de la vie d’Antoine classés par matière et rassemblés sous l’aspect d’un nombre assez conséquent de cahiers d’écolier.

Lorsqu’il était entré exsangue, dans sa silhouette errante, le visage affreusement triste et tirant d’interminables bouffées d’une sorte de fumée jaune aux fragrances d’épices dans l’encadrement de la porte d’entrée ; Tony n’avait d’abord pas bougé, juste un tintement de voix répercuté sur le zinc avec la consistance du verre cassant(X). Cette espèce de nausée dans la gorge et l’intestin noué. Antoine s’était alors assis à l’endroit prévu, une chaise haute, la plus proche de la fenêtre, juste à côté d’où Tony s’était déjà posté depuis plusieurs heures pour être sûr de ne pas rater cette sacrée putain d’enfant de salaud. Une attente interminable.

-X- Peut-être une allusion encore, à cette lumière de l’orchestre debussyste aux commandes des interludes symphoniques d’un Palléas et Mélisande sombre, tragique et fluide comme de l’eau ? L’époustouflante texture cinématographique de l’œuvre, le renouvellement constant des motifs, cette singularité du timbre instrumental dans la partition.

Marie aimait les rouges qui claquaient, la lumière dorée prête à s’éteindre d’un seul coup dans les pourpres... mais n’aperçut pas Tony sur le point de disparaître derrière le grand tilleul estropié. Une bande de moineaux battaient de l’aile sous le couvert des abords du canal, sans un cri. Deux tourterelles turques faisaient le mur du jardin de l’Hospice en s’envoyant des baisers fanés sur la nuque. Des tarins grégaires disputaient des akènes d’aulnes aux verdiers sur le point de déménager vers la mer. Tout dans l’air et sur terre semblait vouloir se cramponner une dernière fois au silence contracté de l’automne. Marie, fit plusieurs fois le tour d’un tronc creusé par la foudre. Un platane... ou peut-être ce qu’il restait d’un hêtre agressé par le ciel ? Pour finir, elle se détermina pour l’idée d’un érable au charme fou à cause d’un tapis de samares cramoisies que le vieil arbre portait à son pied. L’idée l’obsédait. Pourquoi cette lettre, ce papier impeccable, écrit à la machine ? Au lieu des mille mots tendres qu’Antoine avait pris l’habitude de lui faire parvenir, dessinés sur des pages de journaux découpés, à l’arrière des billets de transports usagés ou dans le détail des notes de frais d’un tas de bouis-bouis exotiques... Des lettres comme autant de petites madeleines de voyages tropicaux. Marie en avait remplies toute une boîte à chaussures, rangée dans le vieux sac en toile qui contenait sa robe de mariée. Une lettre... la première depuis des mois. Tony guetta sa femme encore un moment depuis le porche déguenillé de l’hôtel du Petit Louvre à l’angle de la rue Boucherat. Un ancien relais de poste et ses figures grotesques peintes au XVIe siècle sur les ruines d’une demeure moyenâgeuse ayant appartenu à Henri de Poitiers plus connu sous le nom de Sir de Lusignan, roi de Chypre et de Jérusalem. Un membre d’une des plus nobles maisons de France, et descendant (comme toutes les grandes familles françaises s’en étaient toujours réclamées, comme elles se réclament toujours de tout...) de cette bonne Mélusine, princesse d’Albanie exilée sur l’île magique d’Avalon par la faute de son père, avant d’être sérieusement discréditée par l’église chrétienne au prétexte d’une imposante queue de serpent portée par la dame, juste sous la hauteur du nombril. Une jeune et gentille fée des fontaines, transformée en dragon volant par un catholicisme complètement déjanté. La jeune femme reprit sa respiration avant de synthétiser la multitude d’indices censés la guider. Tony guettait encore la silhouette de sa femme lorsque qu’elle avait fermé les yeux en respirant le lit d’un paquet de feuilles rougeoyantes au pied du platane (disons plutôt un érable, et ce, pour que l’affaire soit réglée une fois pour toutes entre nous concernant ces marques du décor, de simples repères dans le paysage). Elle s’était ensuite approchée du tronc ciselé sans que Tony ne réussisse à deviner le trajet de l’extrémité de ses doigts, en surimpression d’une multitude de sillons ébarbés, mille stries convalescentes recouvertes de passions sincères et enflammées. Marie s’était avancée très près pour murmurer les mots tendres enfermés dans les labyrinthes de ses mains. Juste un effleurement sur l’écorce à l’endroit d’un « H » gravé avec force, et de la figure d’un cœur qu’on devinait tracé tout autour. Marie refit les mêmes gestes comme un rituel, déplia doucement, encore une fois le papier machine d’aspect blanc brouillé d’infimes lacis bleus. Plus tard, elle s’était demandée de quelle manière une simple lettre frappée d’autant de caractères contraints, aurait bien pu constituer l’aube d’un pressentiment, l’intuition, juste, qu’elle ne reverrait plus son cher Antoine. Plus jamais. Mais pour l’heure, la petite bonnetière payée à la pièce chez Poron (« la fille des extras » comme on l’appelait aussi dans l’atelier de passementerie spécialisé dans les franges et les liserés d’apparat grâce auxquels Marie tentait d’arranger les fins de mois difficiles), s’en teint encore à cette idée, cette occasion unique, d’une belle balade à l’autre bout du monde ; un projet d’expédition touristique formidable au bras de son jeune et beau reporter, son cher Antoine, son seul amour, son chéri... loin, très loin de ses occupations de dentellière sans consistance des après-midi de relâche et de sa vie de femme mariée sans issue...

...un beau voyage entre la mer de Chine et l’Océan indien ! Hanoi, le Fleuve rouge, la baie d’Along, le Col des nuages, Dalat, Sa Dec... et puis Rangoon, Bangkok, Jakarta, Manille...

Oui, une sacrée virée !

Marie voulut aussi se souvenir de la séance photos pendant laquelle Antoine l’avait prise dans sa robe rose. Un rose mat et laiteux, usé dans les tons chair. Le genre de rose, pressé sur les justaucorps de ballets (le décolleté bateau du modèle classique à bretelles en matière extensible), les cache hanches, négligemment ajustés par-dessus ; une paire de ballerines fabriquées selon la technique du cousu retourné, et ses lacets en satin noués autour de la cheville. Un rose Repetto™ de style néoclassique, mais qui ne donnait rien de très extraordinaire sur les tirages en noir et blanc. Pour ma part, et par analogie sûrement, je songeais au même moment à une image de Cornell Capa (le frère de Robert... et photographe aussi. Pour le dire carrément : sacrément doué ! En vérité, le plus talentueux des deux, bien qu’effacé par le côté « immortel » du frangin, l’aîné ; mort quand même en plein reportage, éparpillé sur une mine et reconstitué ensuite sous la forme d’innombrables publications, expositions et documentaires par la suite). Une célèbre prise de vue au grand angle dont il m’arrive de vouloir recadrer mentalement le plan d’ensemble, conformément à l’angle focal de mon propre trouble intérieur. Quelque chose de plus intime, de plus profond dissimulé sous la surface de cet instantané réalisé en 1958 à l’école du Bolchoï, et montrant trois jeunes ballerines prises de dos pendant l’exercice d’une attitude à la barre. Des lignes de force moscovites, douées d’un mystérieux pouvoir d’attraction. La lumière, bien sûr... L’éclairage naturel du dehors qui attaque la scène de biais. Un contre-jour de trois quarts, plongeant avec raideur sur les parures d’entraînement échancrées. Trois grâces au physique superbe, irisées d’un soleil de plomb derrière leur rideau de fer... Autrement dit : Trois nymphes d’origine soviétique sévèrement contrôlées... soumises aux principes de l’impression naturelle qu’une telle idée pouvait produire sur un étranger de l’Ouest à cette époque d’une coexistence à peu près pacifique entre les deux camps. Une trêve de courte durée. Mais là n’était bien évidemment pas l’essentiel. Car à la vérité, c’est cette fille... (où devrais-je dire : la figure, l’idée même d’une fille, le symbole absolu de l’image qu’on s’en fait !) Une... désignée d’office parmi trois silhouettes alignées dans la trajectoire d’un immense miroir de travail doré à fronton. Celle, la première qui attire l’oeil juste à gauche en entrant ; celle qu’on remarque peut-être à cause de son port de bras, l’épaisseur de sa taille, ou encore du mouvement de tissu imprimé sur la fesse par sa jambe libre lancée en arrière ; cette jeune ballerine dont le reflet du visage est le plus flou dans la grande glace du fond. Cette fille plutôt que n’importe quelle autre fille au monde, à cause de je ne sais quel détail particulier qui me caresse l’esprit chaque fois que je la regarde... Un détail (le punctum disait Barthes dans sa Chambre claire). Ses cheveux lisses peut-être ? Noirs, formées en couettes plutôt courtes et tirées vers l’arrière débarrassant la nuque de toute protection superflue. Un détail, comme l’étroite nervure tracée sur son dos, nu ; une rayure intime sans terminaison nerveuse apparente, croisant les agrafes d’une lingerie en dentelles tendue aux épaules par de fines bretelles de soie. Une échine de corps de ballet soviétique, sa ligne de jonction qui disparaît sous un tissu noué autour de ses reins. Une armature solide et délicate à la fois, fendue au milieu par la poupe.
Oui, ce détail, « maritime », sûrement. Je ne sais pas. Le détail d’un soutien gorge de jeune fille, agrafé dans son dos et à l’origine de mon cœur chaviré.

C’est « le fantasme »... disait ce même Roland Barthes(X), qui doit toujours déterminer le sens du voyage. Le fantasme comme moteur de la pensée. Au lieu des structures faciles, des signes arbitraires et des constructions imposées.

-X- Lors de sa leçon inaugurale au collège de France au mois de janvier 1977, Roland Barthes précisait ce sens particulier qu’il donnait à sa propre idée du voyage en des termes qui firent alors loi pour une littérature nouvelle et désaliénée : « J’aimerais que la parole et l’écoute qui se tresseront ici soient semblables aux allées et venues d’un enfant qui joue autour de sa mère, qui s’en éloigne, puis retourne vers elle pour lui rapporter un caillou, un brin de laine, dessinant de la sorte autour d’un centre paisible tout une aire de jeu, à l’intérieur de laquelle le caillou, la laine importent finalement moins que le don plein de zèles qui en est fait. »

Sans aucune transition, Marie tenta de recomposer la profondeur du cadre en s’imaginant l’alignement d’Hibiscus et de Frangipaniers à la place d’un parc crasseux dans la lumière humide du canal de la seine. Une robe rose... sur fond de Vietnam à feu et à sang. Son amant qui l’ajuste, Antoine, son grand amour d’Antoine et son Leica braqué sur sa ligne de cœur déchiquetée.

Ce soir-là. Ce soir du mois d’octobre 1970 où elle avait trouvé cette lettre déposée sous le comptoir à l’endroit habituel. La toute première depuis le début de l’été. Soit trois mois après le retour d’Antoine du Vietnam... et sans qu’elle n’en ait jamais rien su.



Mexico, Leesbury, Bucarest, Leningrad, Telavi, Tallin, Santiago, Phnom-Penh, Yinchuan, Palerme, Londres, Derry, Belfast Delhi, Rangpur, Dacca, Florence, Vérone...




(À SUIVRE)

mardi 14 juillet 2009

PHOTOMOBILE™ - 02



LES PHOTOMOBILES™ DE JL GANTNER

(Des images réalisées à partir de son téléphone portable, ses communications régulièrement mises "en ligne". Tout un commerce d'échange et totalement inutile de libres transports avec un vrai mobile d'une bonne marque™ collée sur l'écran. "De l'art moderne" pour ceux qui en douterait, comme on dit aussi "De l'électronique embarquée" ou "De la pression dans un pipeline" )



MESSAGE N°02


PHOTOMOBILE™ N°02 / JL GANTNER 2006
Message envoyé de Besançon, France
02 févr 2006 à 11H08 GMT





LES PHOTOMOBILES™


lundi 13 juillet 2009

LE COUP DE CHAUD / XXII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-22-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 11
POST COÏTUM ANIMAL TRISTE




L’émission venait de se terminer sur le générique couvert par le prélude à l’après-midi d’un faune(X) de Claude Debussy (À l’origine, un églogue de Stéphane Mallarmé dont le poète mélomane inspiré par Baudelaire, avait réclamé au compositeur un accompagnement à la hauteur de son inspiration). Un Panorama sur la vie des plantes, leur mode de reproduction, la croissance des cellules végétales et leur aptitude naturelle aux élans de la mémoire comme moyen récurrent de leur adaptation au monde moderne. Une heure de discussion autour du développement des plantes vertes et leurs excès de sensibilité derrière leur apparence rigide.

-X- Le poème en cent dix alexandrins, illustré par Manet et mis en musique par Claude Debussy, fit aussi l’objet d’une chorégraphie créée par le danseur Vaslav Nijinski en 1912.


...Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve, dans un solo long, que nous amusions
La beauté d’alentour par des confusions...


Tony était descendu marcher un peu pour shooter dans les feuilles et suivre le dessin monotone des moineaux dans l’air frais de la Place St Nizier. Les piafs du quartier abandonnaient un après l’autre leur architecture gothique renaissance et la dizaine de perchoirs naturels en forme de tilleuls brûlés d’ocre à son pied pour les fissures plein sud de la rue Célestin Philbois. Des cliques sautillantes de passereaux qui amusaient les gosses des HLM voisins flambant neuf. L’automne terminait de recouvrir « la tête du bouchon de Champagne », la rue Michelet, celle du Bon Pasteur ; depuis le quai de l’abattoir, la piscine du Vouldy et jusqu’au jardin du Préau tout proche du canal de la Seine. Chaumont fit une pause à hauteur d’un platane dont l’écorce abondait de signes gravés à la main. Des figures tracées comme des allégories, des paraboles amoureuses et des logogriphes de toutes natures... Des dizaines de rayures allusives et d’éraflures secrètes comme des intentions définitives à l’épreuve du temps. Pourquoi cette figure, particulière plus que cent autres gravures analogues superposées en fresque tendre sur le cuir d’un bois d’agrément, un simple « H »... retint ce jour-là son attention, peut-être à cause de ce « M » qui l’enlaçait, identique à une voilure d’insecte ; deux ailes... l’empreinte assez claire d’un butineur, un voleur de fleurs fort habile dans la matière calligraphique...

Tony reprit sa promenade sous des grands arbres jaunes qu’il prit pour des saules (disons probablement des frênes et plusieurs marronniers...) Le maçon n’avait pas la moindre idée de ce qui différenciait un feuillu d’un autre, mais repensa à cette idée bizarre qu’un peu d’herbe était capable de soigner un rhume des foins ou qu’une pincée de thym, de verveine, mêlée au serpolet... guérissaient aussi des absences passagères ou des étourdissements chroniques. Tony s’était arrêté là, sur cette hypothèse que Les plantes portent en elles toute la complexité du monde vivant et disposent aussi d’une véritable mémoire utile à notre besoin de nous adapter sans cesse à notre environnement... et n’avait pas osé aller plus loin, au-delà d’une ligne de démarcation qui séparait les quartiers bas d’un centre ville parfaitement préservé. (L’ouvrier du bâtiment avait pensé « réservé » au lieu de « préservé »...) Tony s’arrêta quelques instants à une distance circonspecte du petit bois, puis finit par rebrousser chemin en direction de la cathédrale St Pierre ; chercha une explication rationnelle à la mémoire des arbres dans l’accord d’un son d’orgue qui dévalait la rue de l’évêché... L’ouvrier spécialisé dans le plâtre, l’enduit, le blanc de chaux et les vieilles méthodes de crépissage au torchis, se répéta plusieurs fois cette formule biologique qu’il venait d’entendre à la télévision, traîna les pieds jusqu’au Kane qui venait tout juste de changer de nom dans l’espoir de convertir sa jeune clientèle d’agitateurs gauchistes aux rencontres sportives fournies gratuitement sur une grande télé familiale accrochée au plafond. Cette fois, la nuit était complètement tombée sur le « café de l’Horloge ». Et rien, non vraiment rien n’aurait réussi à le faire rentrer chez lui par ce sentiment d’automne aussi vif. Cette fin du mois d’octobre 1970 où tout allait se jouer. Où tout devrait irrémédiablement basculer. Cette drôle d’année de la mort spectaculaire de l’écrivain japonais Yukio Mishima(X) dans son bel habit de Samouraï ; celle de l’artiste américain Barnett Newman, ou encore du photographe de presse Gilles Caron, disparu quelque part dans les environs de Phnom Penh ; celle en France de François Mauriac, de Jean Giono... L’année de l’enterrement du « grand Charles » à Colombey-les-deux-églises, et du guitariste Jimi Hendrix à Seatle, Etats-Unis d’Amérique...

-X- Yukio Mishima vient d’achever L’ange en décomposition, le dernier opus de sa trilogie romanesque publiée sous le titre de La mer de la fertilité. Dans la matinée du 25 novembre 1970, l’auteur japonais le plus influent de son temps, se rend à l’école Militaire du quartier général du Ministère de la Défense et prend en otage le général commandant en chef des forces d'autodéfense avant de faire convoquer les troupes. À la suite d’un discours épique encourageant le retour d’un japon traditionnel à la faveur d’un empereur tout puissant, Yukio Mishima se retire dans une pièce situé à l’étage du bâtiment avec quelques-uns de ses disciples les plus sûrs et s’ouvre l’abdomen à l’aide d’un sabre selon le rituel du seppuku (une ouverture transversale sous le nombril). La « cérémonie » morbide imaginée par l’écrivain doit se conclure par sa décapitation (une version du suicide rituel, censée abréger les souffrances du malheureux), mais son ami Morita tremble et rate son geste. C’est finalement Hiroyasu Koga qui récupère la lame et termine l’ouvrage sacrificiel. Un dénouement tragique, pour lequel beaucoup avancent que le maître de la littérature nippone avait tout prémédité et mis en scène depuis la rédaction des premières pages de son œuvre considérable.

« C’est lui qui avait parlé le premier. Je me souviens qu’il faisait très chaud. C’était au mois de juillet. Un rencard que le type avait avec une fille. Il disait qu’il avait dû la quitter longtemps avant. Un an, jour pour jour... Il disait aussi qu’il ne savait pas si elle viendrait et qu’il la comprendrait. Marie était une chique fille, vraiment ! Tout le monde la connaissait au commissariat, mais j’ai encore l’impression qu’il n’était pas forcément au courant. Le type était reporter ou quelque chose comme photographe ou correspondant de guerre... Je ne me souviens plus forcément de ce que Tony m’avait raconté à l’époque. C’est-à-dire que vous comprenez... Tony et moi, ensuite... Marie était vraiment bien foutue, mignonne et tout. Je veux dire, Tony et elle vivaient un peu ensemble… Je crois qu’ils avaient vraiment quelque chose l’un pour l’autre, mais ça n’empêchait pas Marie... Enfin rien de mal, mais vous voyez. Une fille vraiment jolie, mais quand même un peu salope. Je me rappelle qu’un jour... Tony lui a collé une baffe dans la gueule devant tout le monde alors qu’elle était grimpée en jupe sur une table du bistrot pour fêter la fin des bombardements sur le Cambodge ou je ne sais plus trop quel autre prétexte du genre. Elle fréquentait une bande d’étudiants qui saoulaient tout le monde avec leur politique américaine, leurs idées sur leurs parents, les femmes, la révolution sexuelle... C’était en juin. Je m’en rappelle parce que c’était juste avant le départ du tour de France. L’année ou Merckx avait fait le doublé avec le Tour d’Italie... une sacrée victoire au Mont Ventoux(X) où le belge avait pointé son maillot jaune à presque dix minutes du jeune Zoetelmeck. Après l’étape, Merckx s’était évanoui devant les journalistes en train de l’interviewer. Le médecin avait dit qu’il manquait d’oxygène. 1900M... Le Ventoux c’est quand même pas non plus l’Annapurna ! 4500 bornes à 35 KM/H de moyenne il y a trente ans déjà, vous voyez un peu le boulot !

-X- En juillet 1970, le Tour de France renoua avec la montée légendaire du colosse provençal. Le col avait été écarté des parcours officiels depuis 1967, date à laquelle Tom Simpson s’était effondré, soutenu par des spectateurs, à deux kilomètres du sommet de l’épreuve. Quelques minutes après, le coureur britannique était mort dans l’hélicoptère qui le transportait vers l’hôpital d’Avignon. « La fatigue, la chaleur étouffante, le manque d’eau »... Tout le monde avait d’abord conclu à une mort naturelle par épuisement. La légende du monstre de Provence avaleur de coureurs était sauve. Le lendemain, le Dr Dumas, le médecin officiel du Tour, répondait à la presse en disant que c’était bien trop tôt pour parler de « doping », qu’on pouvait aussi mourir en pleine santé, chez soi, dans un fauteuil... que c’était rare, mais que ça pouvait quand même arrivé. L’enquête avait révélé plus tard que le coureur montait les côtes avec des tubes de Tonédron dans les poches de son maillot. Le type marchait aux emphèt’, et ce n’était certainement pas le seul dans le peloton. En 1992, une voiture de l’équipe Festina fut interceptée par la police des stups, le coffre blindé d’EPO. Et puis beaucoup plus tard en 2002, l’épouse du coureur lituanien Raimondas Rumsas est arrêtée vers Chamonix en possession d’une quarantaine de produits (EPO, testostérone, corticoïdes et hormones de croissance). Pour sa défense, la jeune femme tentera d’expliquer que ces médicaments étaient en réalité destinés à ses parents malades. Rumsas, Virenque, Hamilton, Rasmussen, Floyd Landis ; l’italien Marco Pantani, mort dans des conditions « douteuses » en 2004, suite à une overdose de cocaïne ; Laurent Fignon, aujourd’hui atteint d’un cancer des voies digestives... Ricco, Moser, Ullrich, Vinokourov... La liste est malheureusement non exhaustive...

À moins que je confonde avec le mois de mai... Vous savez, cette attaque de l’épicerie Fauchon à paris par un commando terroriste. Un mec qu’on appelait « Tarzan » et une équipe de sauvages s’étaient barrés avec tout ce qu’ils avaient pu emporter : caviar, truffes, champagne, marrons glacés... Du fois gras à deux cent balles le kilo... Ils avaient réussi à foutre le camp par les couloirs du métro. Ce vieux salaud de Sartre avait pris leur défense. Tu parles ! le type bouffait tous les jours à la Coupole et il continuait quand même son numéro sur la pauvreté, la misère dans le monde et la justice sociale... Les beaux discours... C’est pour ça que j’ai continué de voter à droite après ! Ça aurait pu leur ressembler à ces p’tits salauds. Pas mal d’entre eux descendaient souvent à Paname pour aller foutre la caillon dans les manifs ! L’endroit s’appelait pas encore l’Horloge à ce moment-là. Bien qu’on pouvait déjà voir des matchs de championnats sur une télé qu’avait remplacé le vieux juke-box et le tas de p’tits cons qui fumaient devant. Le patron s’appelait Kan’... Je ne sais pas ce qu’il a pu devenir depuis ? Tony était comme un fou. Et plus il gueulait pour que la môme descende de là, et plus elle continuait de le provoquer en agitant son cul sous sa jupe. Le tissu couvrait pas grand-chose dans ces années-là, faut dire ce qui est ! Tout le monde se marrait. J’ai été obligé de m’interposer pour ne pas qu’elle ramasse trop. La gosse s’était mise à chialer, une véritable hystérique. Ensuite j’ai dû essayer de la rassurer. C’est une des dernières fois que j’ai vu Tony. À cause d’elle vous comprenez ! J’aurais pas pu supporter de le regarder en face après.

Avec Marie, on s’est amusé encore ensemble pendant un moment, mais rien de plus. On se voyait uniquement à la brigade. Elle disait que les murs... les grandes fenêtres sous les plafonds lumineux, même mal peints. Tous cette cohue contrainte de raconter sa vie devant tout le monde... Marie disait aussi que les classeurs, tous ces dossiers bien rangés sur la vie des gens la rassurait. Ma femme ne s’est jamais aperçue de rien, mais c’est mon chef. Un vrai con, avec un nom d’origine espagnole... Bref ! comme je disais... Ce jour-là, le type a commencé à parler de Marie à Tony sans se rendre compte que Tony s’envoyait la gisquette à la régulière depuis longtemps. Bon, même si de ce côté-là... Je veux dire même si un de plus !... Un type avec un sourire, le genre de sourire allemand si vous voyez comment sont ces gens-là. Le genre pardessus avec sa chemise blanche sur mesure bien repassée en dessous. Une allure qu’on oublie pas comme ça. Peut-être dans les vingt-cinq, vingt-six ans, peut-être moins... mais je vous dis ça, ça remonte maintenant. Tony a insisté pour lui offrir un verre. Il l’a écouté raconter ses souvenirs de guerre. Comment il était revenu du Vietnam, comment il était revenu d’aussi loin juste pour revoir Marie... Je me souviens qu’il parlait beaucoup et que l’alcool n’avait sûrement rien arrangé. Après peut-être, une heure... le gars avait sorti un cahier de son sac, une sorte de sacoche qu’il avait gardée accrochée autour de l’épaule. Un cahier rouge avec une spirale. Je ne le voyais pas vraiment très bien d’où j’étais assis. C’est Tony qui m’a parlé de la photo que le type lui a montrée. Une photo de Marie dans une robe rose, la robe que Tony disait lui avoir achetée pour son anniversaire. »

-Et vous n’aviez jamais su qu’ils étaient mariés.
-Qui, Tony ?...Comment j’aurais pu savoir ? La gosse traînait avec tout le monde. Non... Tony ne bossait plus et passait toutes ses journées au bistrot ; des emmerdes qu’il avait dû avoir avec son dernier patron. Je sais pas pourquoi elle l’avait pas foutu dehors plus tôt ? L’habitude, sûrement. Mariés... Marie et cette loque... Ils ont vraiment été mariés ?
-Et le p’tit ? Jules... Vous connaissiez l’enfant ?
-Ah oui, le p’tit môme...!
-Pas franchement. Des parents à elle qui s’en occupaient, sûrement. Enfin, je sais pas. Une fois. C’était bien avant cette histoire de Sartre, de champagne et de marrons glacés disparue dans les souterrains de la Madeleine... Disons l’année d’avant, pendant l’été juste avant les grandes vacances... Un collègue l’avait découverte complètement ivre, enfin, très mal-en-point. C’est à ce moment-là que j’ai fait la connaissance de Marie pour la première fois. Je faisais la nuit. Le bleu bitte est venu me demander de l’aide pour ramasser une fille allongée à moitié nue sur le trottoir. Carrément devant le commissariat. Comme ça. Personne n’avait rien entendu de ce qui avait bien pu se passer. Marie aurait pu tomber toute seule, ou une voiture qui l’avait peut-être jetée là ? Allez savoir... Après ça elle ne s’est jamais souvenue de rien ! C’est quand le collègue est sorti à la fin de son horaire de service, qu’il est tombé sur la fille toute éclaboussée par terre. Un sale état. Je dis ça parce que c’est moi qui l’ai raccompagnée chez elle ensuite. Vous comprenez, le gars commençait dans le métier et j’avais préféré finir le boulot moi-même. Elle habitait tout à côté, en haut d’un immeuble dans la même rue. Le môme ? Je l’ai entendu qui hurlait depuis le rez-de-chaussée. Un type était là, il regardait la télévision. C’était Tony, mais je ne l’avais encore jamais vu non plus. Comment j’aurai pu savoir qu’ils étaient mariés ? C’est pas parce qu’on couche avec quelqu’un ou qu’on regarde la télé chez lui... Un peu plus tard, Tony est venu au commissariat. Je lui ai posé des questions sur elle et puis aussi sur le gamin, juste pour parler. Il m’a dit que ça ne me regardait pas. Qu’il n’y était pour rien. Que c’était le gosse de cette fille, qu’elle et lui... voilà tout. J’ai pas cherché, il n’y avait pas mort d’homme non plus ! Par contre, Tony n’arrêtait pas de poser des questions sur la soirée où on avait retrouvée Marie. Il voulait savoir ce qui avait bien pu lui arriver cette nuit-là. On a fini par aller boire un verre ensemble, ici, juste à cette table... Tony disait qu’il connaissait bien le patron et qu’on serait bien reçu. Je ne lui ai pas dit tout de suite que je le connaissais aussi. On a parlé de l’astronaute qui s’était posé sur la lune, et puis de son collègue, Aldrin je crois, je ne sais plus lequel des deux ? Tony était passionné par ce genre de trucs. Moi, ça ne m’a jamais intéressé plus que ça. Il m’a alors fait remarquer qu’on avait récupérée Marie pile à l’heure où le soyouz, enfin la machin avait atterri. J’avais pas vraiment vu tout de suite l’intérêt. Pile vers 4 heures du matin, le 21 juillet. Pour ça, on pouvait lui faire confiance. J’ai jamais rencontré quelqu’un avec une mémoire pareille. Il m’avait même donné l’heure précise, à la minute près, mais j’ai oublié. Le problème ça à été plus tard. Le collègue... le bleubite qui avait découvert Marie le premier avait soi-disant noté 21H35 sur son carnet, et s’était même gouré de jour... le 20 juillet. Ce n’était pas obligatoirement important, encore une fois, il n’y avait pas mort d’homme, mais Tony a continué de nous emmerder avec ça pendant des jours. Plus con qu’un flic, je vous dis ! Pour nous, c’était une affaire classée, voilà. On avait plus grave à s’occuper au tableau de service, vous comprenez. »



(À SUIVRE)




mercredi 8 juillet 2009

L'ATELIER DE JULES™ / X





LES PENSÉES SUR PAPIER PEINT




AQUARELLE ET ENCRE DE CHINE SUR CARTON 24X30CM / 2005