jeudi 7 août 2014

ÉLÉVATION ESTIVALE

Bon alors évidemment il faut d’abord marcher ; trainer son poids et toute sa peine des heures entières dans la pierraille calcinée par le cagnard. Des kilos et des kilos de valeurs terrestres inutiles, à hisser pas après pas, mètre après mètre dans la scabreuse fournaise qui inonde la succession de ravins affreux sous nos pieds. 

Un plein raz bord de besoins mercantiles, et son équivalent en ordures quotidiennes amoncelées sur notre route depuis qu’on a signé un jour notre feuille d’émargement pour ces fadaises cosmiques. Ce genre de style de vie puéril et son lot de noirs entortillements dans l’engrenage politique et la vocifération générale assermentée. Se hisser, Goya à sa forge… à la seule force de nos encombrements pittoresques jusqu'au sommet. Une pente raide pour supporter nos vaines ampleurs et nos pires procédés d’assombrissement. Une pente, hérissée d’orgueil dérisoire et de petits bonheurs crevés ; toutes sortes de viles dégueulasseries qu’on traîne déplorablement avec soi. Une montée, hosanna, pour enrichir le ciel de notre matière inepte et laborieuse. De la montée en pagaille, de la montée à gogo ; de la montée à n’en plus finir ; de la montée jusqu’à la nausée.
 
 



Un paysage d’abrutissantes afflictions touristiques. Jusqu’à ce remodelage de combines atmosphériques impressionné sur une toile d’eau bleue hermétique. Une chouette vernis dans le genre d’un ballet doré de Rubens sur une scène de gloire antique. Une dégringolade de schiste et de granit à la manière d’une coulée d’anges rebelles sur un devers de gazon ardent. Rubens après Goya… Permettez le désordre dans la règle d’un ancien parnasse de souvenirs esthétique perché au dessus de nos têtes et dégobillant son emprise à la mort du jour. Bref, moi qui pensais réussir à me noyer dans l’eau limpide une fois l’escalade aboutie ; m’immerger dans un morceau de ciel liquide après avoir remonté Ingres jusqu’à sa source au lieu de patauger désespérément dans un décor saumâtre de Paul Klee. Cette grande poissonnerie allégorique également chère à Courbet. Mais je m’éloigne, me disperse, m’engloutis… alors que c’était le matin déjà. Notre destinée funeste de manquer d’élévation pour de longs mois encore ; des années surement. Toute une vie aux oubliettes. Vous savez vous, ce qu’en aurait fait, Matisse, lui, d’une nuit pareille, après avoir tant monté si haut dans le ciel tout un jour durant ? Ce bleu qu’il aurait peut-être voulu garder, épais dans la dorure des étoiles effilochées de juillet. Un Icare au cœur saigné peut-être. Et Bosch, qu’en aurait fait Bosch lui d’un jardin pareil suspendu si haut, et de la terre entière sous ses pieds ?
JLG


PHOTOS © 2014 JL GANTNER - TOUS DROITS RÉSERVÉS


samedi 2 août 2014

INTERIEUR-NUIT


Une certaine idée de la nuit, magnifique, qui nous enveloppe même dans la lumière crue d'un ciel d’été ébloui. Le bout du jour qui s'écrase dans la couleur blafarde et tiède d’un été foireux pour enchainer les virages serrés à la suite d'un hiver encore pire...  

"Le bout du bout !" comme on dit dans le langage des coureurs cyclistes... Lorsque les jambes sont lourdes les lendemains de victoires éphémères... et qu'on y voit plus rien de la route qui se poursuit, infatigable ; seul, et dévissé du peloton principal. Un "voyage au bout de la nuit" dans la moiteur torride, qui incombe au dérèglement du climatiseur général. Un si triste voyage dans le précipice de la nature humaine et la route qui défile à tombeau ouvert pour viser juste dans la direction d'un cimetière provisoire.



 

Ce grand tapage nocturne de farandoles obsolètes, imbibé d'ombres molles et d'ambre solaire évaporée. La plastique consternante de quelque paysage intérieur jaunâtre d'un jour qui inlassablement décline dans nos cœurs déchiquetés. Ce pacte signé avec la communauté d'anciens saturniens, pour passer inaperçu chez Dürer ou dans l'atelier de Goya avant d'effleurer Baudelaire oublié dans une pile de bouquins posée à coté du piano d'entrainement. Un poison orgiaque et sa bile affreuse répandu sur les murs du salon souffreteux. La houle atroce d'un immeuble de province chancelant sous son vernis 18e passé d'usage à l'heure des dortoirs synthétiques. À l'intérieur, une marée des songes calcinée et un océan cauchemardesque fondus sur un écran connecté à l'ADSL. Cette peinture murale électrique, brossée dans la lie et les rognures des nouveaux pixels. Une illusion forcenée d'un monde libre et s'agitant en convulsions tragiques. Ce genre d'esthétique fortuite et embarrassante des mouvements de masse répandus sur les réseaux d'opinions. La raison de ma maison close, coupée du trafic. Une prison sèche sur la toile. JLG
 







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