jeudi 21 juillet 2011

LE SPRINT DE SISYPHE


LE SPRINT DÉCISIF


Bon, je sais… d’aucuns diront encore que je parle beaucoup trop de sport ces temps ci. D’activité physique en général au lieu d’une transcription de l’âme à laquelle nous nous étions forcément un peu habitués dans ces colonnes de verbiage entre nous. De sport ou plutôt, d’une sorte d’hymne à l’effort considérable. De ce calvaire d’un travail d’endurance répété chaque jour sur la route et allez donc bien savoir pourquoi ?! De cette activité de « forçats » accumulée au fil des semaines et depuis des années dans le but imprécis de parfaire un entraînement de compétition. Du sport… ou cette drôle d’idée peut-être, d’essayer de repousser les limites de notre mystérieuse condition d’être humain sur terre. Du sport ou quelque chose comme « la possibilité d’une île »… aurait dit Houellebeck. L’auteur des « particules » dont je viens de terminer le Goncourt 2010 « La carte et le territoire » avec un peu de décalage horaire pour cause… d’entraînement justement. L’entraînement… Où l’on pourrait convoquer d’emblée ce « Sisyphe » roulant son rocher sous la plume d’Homère. Mais « il faut imaginer Sisyphe heureux » disait aussi Camus.



Ottavio Bottechia / Tour de France 1924


Heureux comme un cycliste dans l’eau de cette fin de mois de juillet un peu moche, et cramponné derrière des collègues de vingt ans de moins que lui sur des distances et à des vitesses insensées. Mais bon, comprenez par là que je chéri depuis toujours ce vieux Nietzche en cette formule admirable qu’il consacre au bonheur : « Ce sentiment d’une résistance en voie d’être surmontée » (L’antéchrist). Ce frein sordide, ce mode d’obstruction mécanique lorsque la route s’élève en même temps que les vents contraires… et ce réflexe « absurde » de jeter toutes ses forces dans la bataille de cette compétition dantesque. Un réflexe « absurde », mais je vous parlais bien de Camus juste avant. De Camus ou de Schopenhauer par l’engrenage d’un prix littéraire à son comble s’agissant de cette matière philosophique. Le vélo ou le truc d’en chier vraiment avec le sentiment du devoir accompli. Un truc « chrétien » gouailleront certains. Un machin de « forçat » avait écrit Londres lorsqu’il suivit pour le Parisien l’incroyable épopée d’Ottavio Bottecchia sur le tour de France 1924. Un véritable tour de l’hexagone en quinze étapes de trois cent à quatre cent kilomètres chacune, soit plus de 5000 kilomètres au total et « sur la plaque » comme on dit aujourd’hui (un développement de fou pour espérer franchir l’étape du Galibier sans poser le pied par terre). Tout ça pour vous dire que j’ai donc décidé de terminer cette séquence d’une mise en « quarantaine » un peu contrainte sur le chemin inéluctable du temps qui passe… par le dispositif d’un entraînement de corps d’élite. Ce truc, oui, un peu « nietzschéen » du dépassement de soi, pour continuer de prendre les virages à la corde au lieu d’essayer d’écraser la pédale de frein sur le dos du peloton.



Un masque de souffrance physique bien planté au sommet du maillot à pois plutôt que cette figure d’un monde auquel je ne comprends décidément plus grand-chose. Au hasard, cette image d’un retour de cadavres d’Afghanistan, imposée récemment à la nation sous la forme d’une mise en scène télévisuelle pompeuse et au final quelque peu indécente en comparaison de la multitude de drames humains qui persistent dans les ombres du monde. Cette question « surréaliste » posée par une journaliste pour introduire son sujet imposé. Une présentatrice vedette qui se demande face au prompteur et droit dans ses bottes, en l’occurrence Marie Drucker, quel sentiment, de « l’individualisme ou du nationalisme » inspire le mieux aujourd’hui les français face à l’épaisseur du trait symbolique qu’on voudrait leur prescrire ?!... Une forme d’expression « journalistique » excluant par conséquent toute facture intellectuelle intermédiaire. Un de ces journalismes sans nuance qui fait toute la beauté du métier. Un journalisme binaire véritablement émouvant sur le service public, pris en tenaille entre le procédé de l’auto-information smartphonisée promu à tout va, et les numéros corporels de bimbos de l’info qui raflent ce qu’il reste de parts de marchés sur nos écrans passés de mode ! « Un sacré numéro ! » aurait sûrement dit Thierry Adam (le causeur dans le poste en chef du Tour de France Le Cantador du micro, le Thomas Voeckler de l’analyse des fins de courses sur le plat les jours de grandes échappées qui n’arriveront pas au bout à moins qu’elles ne réussissent quand même devant le peloton qui n’a jamais vraiment mis en marche et on se demande bien pourquoi ?) Une présentatrice de télévision… On croit rêver ?!... Et pourquoi pas embaucher les restes de Jean-Paul Sartre pour faire le guide dans le Marais Poitevin ou recruter Robert Murdoch pour s’occuper de la famine et de la guerre dans la corne de l’Afrique (près de 2 millions de morts en moins de 20 ans « sans qu’on en fasse toute une cérémonie… ») Les « événements » en Somalie… Le sujet placé à une distance respectable de la tête de gondole du journal ce jour-là. Parce qu’il faudrait pas non plus tout mélanger. Pour tout dire, j’avoue avoir eu beaucoup de mal à sortir complètement d’un « Job » gratté dans le marbre le plus brillant qui soit par le rédacteur inspiré de « La république des livres » cet hiver… oui, j’avoue en être resté au résultat de ce travail considérable d’un écrivain penché sur les hystéries du monde et ses douleurs intérieures. Pierre Assouline après Camus plutôt qu’un journal de télévision, et je vous prie de bien vouloir m’excuser ! Le biographe transformé en passager d’un drame en vers, unique et qui nous vient d’on ne sais où exactement ; une « Odyssée » hors concours qui agite le monde sensible et les arcanes intelligibles depuis des lustres.

Des étrangers percent des ravins
En des lieux non fréquentés
Et ils oscillent, suspendus, loin des humains.
(Job, XXVIII)

Où ce « Job »-là est rattrapé par le sort d’un Sisyphe bien sûr… Où tout se rejoint dans l’absurde condition humaine qui nous afflige. Sisyphe et Job en ce chaos… Mais a t-on déjà vu un jour un Job heureux ?!...

Qui disait déjà : « Comprenez bien que jamais cette sorte d’accumulation d’informations ne produira la moindre étincelle d’intelligence, mais juste une certaine forme tragique d’un dégoût de soi-même »… Quelque sociologue de passage et vite oublié, comme le temps passe et comme tout file aussi. Cette accélération constante de l’air ambiant et la course affligeante d’un tas d’électrons libres au cœur de nos orbites tout tracés. Une somme de courants considérables qui continuent heureusement de les transporter. Alors voilà, et n’allez pas dire que vous n’étiez pas prévenu si toutefois vous n’avez pas les jambes pour espérer rivaliser avec les meilleurs dans le sprint final. Vous souhaitant un bon repos à tous cet été.
NÉON™