jeudi 25 juin 2009

LE COUP DE CHAUD / XXI



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-21-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


(PUBLICITÉ)



CHAPITRE 10 / (SUITE)
UNE HISTOIRE D’ABSTRACTION...
(Selon le principe de la récupération, le procédé de l’appropriation / Disons l’histoire d’un vol... et l’idée d’une restitution sous la forme qu’il convient le mieux dans le contexte d’une histoire d’amour qui dérape).




Pour finir, l’obscur traficotage de sentiments amoureux aurait pu également atteindre une sorte de récepteur subsidiaire, un intermédiaire sur un parcours postal balisé. Lequel agent basé suffisamment loin du front pour ne pas élever les soupçons —Disons, planqué dans un bouge de Florence par exemple !...— aurait disposé d’une clé indispensable au déverrouillage de l’information camouflée dans une lettre d’amour comme il en existait cent. Une manœuvre relativement simple... Le lieutenant de police tenta de conclure sur cette alternative tout à fait vraisemblable selon lui ; « à moins » rajouta t’il, que ce ne fut le jeune Conte lui-même, le profil type de l’agent double... Un petit-bourgeois corrompu, un de ces maoïstes. Antoine Conte de Beauregard, un nom tout indiqué pour noyer le poisson dans la vase du Mékong... Le jeune Conte et sa couverture de reporter pour passer inaperçu sur chaque rive. « Oui, à moins que ce ne fut ce petit con lui-même... »
Marie pleurait pendant qu’elle se rhabillait. Rajusta son petit soutien gorge en lycra sur son buste émacié et remonta son Dim qui lui servait aussi de culotte roulée sur les chevilles. Une virgule noire épaisse emportait un œil après l’autre sur son visage englouti. L’intérieur de son ventre lui faisait mal, des coups, comme des poinçons... un outil de fourreur comme une alêne qui lui transperçait l’abdomen, mais Marie prit sur elle de ne rien dire au flic en train de se raboutonner derrière le classeur métallique gris-vert sur lequel la photo de sa femme souriait à la frimousse d’un mioche au cou déformé par une grimace aux allures de sphincter. « Elle s’appelle Purification. C’est d’origine espagnol. (Pou-ri-fi-ca-cione)... » Le gros con de flicard avait dit : « Pou-ri-fi-ca-cione » comme le Matador apprenait à donner l’estocade finale dans l’arène après quelques passes de capote lors d’un combat à mort avec le paquet de viande énervée qui lui servait de bouc émissaire les jours de foire.
Pour conforter sa démonstration, ou peut-être aussi réussir à détourner l’attention... l’enquêteur en chef de la brigade de la rue Michelet, fit encore remarquer à Marie l’origine du cachet de la poste... « italienne » ! apposé sur l’enveloppe jaune en provenance de Florence. La preuve, de ce que cette rédaction amoureuse au caractère ambigu avait dû en voir de toutes les couleurs avant d’arriver, depuis le théâtre des opérations vietnamien, via l’Italie... jusqu’au cœur serré d’une jeune bonnetière complètement déboussolée par la perspective d’une vérité bien plus cruelle encore. Oui, car rien en réalité n’interdisait plus à Marie d’imaginer son amour perdu dans la pire situation qu’il soit pour un reporter. Un journaliste à part entière, dont elle pourrait évaluer bientôt, la terrible efficacité de ses photographies... l’impact de ses cadrages et l’honnêteté de son travail reproduits en couverture de la presse du monde entier. Marie en était convaincue : Antoine n’était pas un lâche. Elle connaissait son homme ; la ténacité de son caractère imprimé sur son corps, un dessin bien fait, des formes géométriques bien visibles sur son flanc. Tout ce qu’elle se rappela de ses yeux adroits et de son dos fiché ; son sourire, sa mélancolie allemande quand il lui parlait. Sa force, qu’elle pouvait encore sentir au fond d’elle dans l’abstraction de ses nuits compliquées ; l’intensité de ses blessures d’enfance à jamais rivées dans ses veines, un chant d’anges et ses arborescences électriques disséminés dans sa chair. Son corps, immense. Non, Antoine n’aurait jamais failli. Son grand amour, son amour vrai, cette évidence crue. Au fond, c’était même pour cette unique raison que son amour de beau gosse avait oublié de lui écrire pendant des semaines... Il n’avait pas oublié, non ! mais seulement voulu éviter d’avoir à la compromettre avec lui. Un seigneur. Et Marie en était maintenant persuadée : Pour beaucoup, son noble écuyer vaudrait certainement mieux la bouche emplie de terre à respirer la crasse de ses mauvaises opinions, qu’à lancer son paradigme humaniste aux trousses d’une comédie résignée d’un genre humain sans scrupule. Marie eue soudain très peur et repensa à ce photographe célèbre. Robert Capa(X), mort à peu près au même endroit au mois de mai 54. Le type avait sauté sur une mine pendant un reportage sur la route de Thai-Binh. Fin du voyage. C’est Antoine qui lui avait raconté l’histoire du plus grand photographe de guerre que le monde ait jamais connu. Robert Capa, joueur de cartes et coureur de jupons ; alias André Friedmannn, né en 1911 à Budapest, Hongrie.

-X- Robert Capa, de son vrai nom Endre Ernő Friedmann, Naissance le 22 octobre 1913 à Budapest. Exilé à Berlin en 1931 à cause d’une montée de l’antisémitisme en Hongrie. Etudes de sciences politiques à la Deutsche Hochschule für Poltik. Photographie Trotski à Copenhague l’année suivante avant d’être chassé de l’Allemagne au bord de basculer dans la pire période de son histoire. Rejoint Paris, le quartier Montparnasse... Se lie d’une amitié indestructible avec le photographe David Seymour, alias « Chim » pour les gens du métier. Rencontre avec Gerda Taro, étudiante allemande antifasciste, elle aussi reporter de guerre, et qui restera le grand amour de sa vie malgré la mort de la jeune femme en 1937, ; écrasée par un tank des brigades internationales. Publication régulière dans « Life magazine ». Réalise le chef d’œuvre absolu de l’histoire du photojournalisme en figeant la mort d’un soldat républicain près de Cerro Muriano, au mois de septembre, l’année 1936. Renouvelle son coup de maître le 6 juin 1944 en débarquant sur une plage d’Omaha-Beach avec son Leica autour du cou. Termine d’inscrire son nom dans la légende, grâce à son ami Henri Cartier Bresson en fondant avec lui la célèbre agence coopérative « Magnum » à New-York ; poursuit son tour du monde des théâtres d’opérations. Pologne, Sicile, Chine, Japon... Travaille en Israël entre 1948 et 1950. Meurt juste après sa naturalisation comme citoyen américain, en sautant sur une mine sur le sol Indochinois au mois de mai 1954. Medal of freedom américaine et Croix de guerre française à titre posthume.

Le ciel était calme, il faisait à peine nuit. Marie comptait les rangées d’éclairages vissés sur les murs crépis de la rue de la Cité jusqu’aux traces de bleus fiévreux sur les vitres du Kane. Elle disait « Kane » depuis quelques temps. « Kane » pour afficher son mépris d’un « Citizen » arbitraire. Une contraction machiste d’un titre en entier qu’il convenait encore de séparer en deux parties distinctives, sur la base d’une sorte d’immense malentendu entre deux types d’espèce humaine opposées : Les garçons au-dessus et les filles dessous... c’était comme ça depuis le début, même si les filles aimaient aussi conduire, manœuvrer les gouvernails et accélérer sous des trombes d’eau. Le Kane... Alors que le troquet avait aussi changé de nom sans qu’elle ne s’aperçoive de rien.

Où était-il à cette heure ? Parcourait-il encore le Vietnam avec son Leica depuis la date à laquelle ce télégramme providentiel était parti de Saigon ? Pouvait-elle espérer le revoir bientôt comme il semblait le lui avoir promis alors quelle n’en n’avait jamais rien su ? Est-ce que cet abruti de flic... Comment déjà ? Pou-tré-facione...) c’est ça ! pouvait avoir raison à propos des services de renseignements des postes ? Cette lettre... de Saigon, postée à Florence ?... Qu’aurait-elle encore à espérer de son béguin, son grand amour qui puait la mort à plein nez ? Marie aurait voulu lui répondre sur le champ... lui écrire des jolis mots pour le rassurer ; lui dire que son ventre, ce salaud de flic, cet imbécile de Tony... toute cette fièvre, la couleur bleu, les costumes de marins, les bleus de chauffe, le cobalt et le Majorelle, les panoplies d’officiers... Tout ce qui la rassurait un peu depuis qu’elle se sentait loin de lui. Mais il était convenu entre eux depuis le départ qu’elle ne disposerait d’aucune adresse, aucune destination à laquelle lui retourner ses envies d’elle et ses baisers pressants ; tout son cinéma d’un paysage de carte postale périmée au milieu des tueries effroyables, la boucherie insupportable qu’on devinait dans la presse d’opinion... Pas même une poste restante, aucun repère fixe pour ne rien altérer des mouvements de l’air et des bouffées d’angoisse naturelles. Tout oscillerait, tout hésiterait... comme le courant flotte sur les lignes de fronts. Comme tout vacille aux entournures de la raison. Le moindre équilibre. Les sifflements de pierre dans le froissement du vent pâle. Marie s’était encore dit qu’Antoine avait sûrement voulu la faire rire avec ses histoires de voyages touristiques en robe rose, mais qu’elle était loin d’être dupe ! Que pour les tigres, les araignées et les serpents, passe encore ! mais pour la promenade en robe rose sur un trottoir de Manille, son client pourrait repasser !...



Antoine n’était toujours pas revenu, mais le courrier lui, avait continué. Moscou, Leningrad, Bucarest, Tallin, Erevan, Tel-Aviv, Irkoutsk, New-York, Leesbury, toutes postées de... Florence.



(À SUIVRE)


lundi 22 juin 2009

REGARDE, MEURS, SOUVIENS-TOI


THÉÂTRE



REGARDE, MEURS, SOUVIENS-TOI
DE JEAN-LOUIS BACHELET
AVEC AURÉLIE GANTNER, ALIOUCHKA BINDER ET OLIVIA RACLOT
jusqu'au 28 juin, au Théâtre de l'île St Louis, Paris 4e



Pour tout vous dire, j’avais d’abord pris la précaution de lire la pièce. « Regarde, meurs, souviens-toi ».
(Le texte est éditée aux éditions Les provinciales). Il s’agissait alors de d’imaginer quelle surface saurait avantageusement recouvrir cette réelle profondeur.

« Regarde, meurs, souviens-toi ». La salle est courte, un théâtre de poupées sur l’île St Louis. À peine quelques fauteuils de velours rouge appuyés contre une scène dérobée au fond d’une ruelle privative du quai d’Anjou.

« Regarde »... c’est-à-dire qu’au lever de rideau, il fait noir, mais que la taille n’a en réalité, aucune espèce d’importance juste au moment précis où le mouvement sonore, le rythme, le tempo... dégringole de l’estrade en Allemand. « Es ist wie am Anfang der Welt, als die Sterne ihren Platz nicht kannten ». Un mouvement... car il faut bien parler d’une voix accordée au texte, selon le principe d’une véritable ligne mélodique ; je veux dire cette force d’abstraction dans la langue de Mendelssohn ; ce flux mélancolique, d’emblée, plâtrée sur la lumière restreinte d’une salle de spectacle sans issue. La lumière... celle d’un premier projecteur qui ravale le visage brillant, tendu vers le ciel de Dagmara (Olivia Raclot), « Une femelle SS » dans son uniforme vert de gris. Le rôle d’une Aufseherin. « Regarde, meurs... » Une autre lampe frappe le corps entier de Marie (Aurélie Gantner), jeune déportée à Ravensbrück. Une toute jeune femme, celle qui doit mourir à la fin. Elle, dans un habit jaune décalé de l’endroit, décalé du lieu et du moment.


OLIVIA RACLOT


L’histoire est une histoire vraie comme on dit dans ces cas-là. Mais dans la circonstance, l’histoire... (ce témoignage bouleversant de Micheline Maurel, résistante, arrêtée et déportée, en 1943 à Neubrandebourg, près de Ravensbrück) est un souvenir de l’ordre de l’ineffable. Comment réussir alors à disposer son corps sur la scène ? Celui de la victime... celui du martyr à sa place, celui de son bourreau par-dessus. Comment trouver le juste équilibre des corps dans la profondeur de champs de cette mémoire effroyable ? Comment, seulement même, songer à y parvenir ?

Alors Marie parle, rallonge la voix éreintante du sublime par le chemin décisif de l’intellection. « Crois-tu » demande Marie. « Crois-tu qu'un soleil puisse devenir noir, comme ça, subitement ? » « Regarde !... » Mais on y voit rien justement. Non... Rien d'ostensible, pas le moindre voyeurisme, pas le plus petit effet de scène pour rompre la pudeur imposée. Tout est en équilibre ; comme le monstrueux bien sûr, s’écoule dans le détail. Comme le fragment, l’infime... comme la particule suffit à échafauder tous les plans.

C’est au tour de Macha (Aliouchka Binder), le troisième personnage du tableau qui doit faire cet effort de se souvenir pour nous, et de se souvenir de tout. L’entrée en scène de Macha, la rescapée. « Il y a celle qui parle », commence la comédienne d’une voix douce, calme... quasi chirurgicale ; une rescapée (je veux dire ni vraiment sauvée, ni indemne, mais juste réchappée...) « Il y a celle qui parle, il y a ceux qui écoutent. Vous avez le désir d'écouter : en avez-vous la force ? Pour nous, le ciel ne s'est pas ouvert ; il s'est bien plutôt fermé à double tour, avec un affreux bruit de serrure, et puis il s'est tu. » Le décor est planté, Nulle chance dorénavant d’essayer d’esquiver.

Voilà pour les premières notes, les premières respirations supportables. Après... Après, j’ai cette impression d’une musique nouée autour de ma gorge et qui ne me quittera plus, jamais. tout un vocabulaire figé dans mes entrailles. Une inexplicable noyade verbale.

Après... Je me souviens des « RAUSS ! SCHNELL ! SCHWEINEREI ! Aufstehen !... Strafestehen... Durchfall... Schmutzstück... Schweinehund !... » Un tas lexical difforme. « Toute cette merde... » « Regarde, meurs... » Oui, « Qu’est-ce qu’on va faire de toute cette merde » se demande Marie, et juste à l’instant du chapitre sur « l’amour qui doit tout sauver sur la terre ».


ALIOUCHKA BINDER ET AURÉLIE GANTNER

Après... je me souviens des larmes de Mme Servan-Schreiber derrière moi ; de son regard hissé vers les trois jeunes femmes tout juste revenues de leur scène, pour les complimenter.

Et puis encore après, je ne sais plus. C’est-à-dire qu’ensuite on a parlé, on a bu, on a mangé. Il était tard. Une soirée formidable. Des impressions plutôt copieuses entre une pièce de boucher béarnaise arrosée d’un vin rouge, et servi à la température des fous de l’Ile, rue des Deux ponts. Tout ce qu’on ne peut toujours se souvenir avec justesse, de la surface des sentiments humains.

... Souviens-toi. Mais je n'oublierai rien.
JLG




Les commentaires du Figaroscope




jeudi 18 juin 2009

SERGENT / OPEN STUDIO



JEAN-PIERRE SERGENT
OUVRE SON ATELIER AU PUBLIC

( 26 / 27 / 28 JUIN 2009)





OUVERTURE DE L'ATELIER JEAN-PIERRE SERGENT
11 AVENUE DE LA GARE D'EAU
FACE A FRANCE 3 / BESANÇON / FRANCE
(26 / 27 / 28 JUIN 2009)
RECEPTION VENDREDI 26 JUIN > 18 > 21H
SAMEDI 27 & DIMANCHE 28 JUIN > 15 > 19 H
TEL : 0381532887



EN SAVOIR PLUS SUR L'ARTISTE



LE COUP DE CHAUD / XX



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-20-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


(PUBLICITÉ)



CHAPITRE 10
UNE HISTOIRE D’ABSTRACTION...
(Selon le principe de la récupération, le procédé de l’appropriation / Disons l’histoire d’un vol... et l’idée d’une restitution sous la forme qu’il convient le mieux dans le contexte d’une histoire d’amour qui dérape).




Antoine n’était pas revenu. Une année entière au Vietnam... et Antoine n’était pas revenu.

Marie avait eu très régulièrement des nouvelles au début ; des lettres de passion ardente comme son amant les lui avait promises sur le quai de la gare juste avant de foutre le camp pour de bon. Des lettres que le jeune reporter lui envoyait à l’adresse du Kane avec la complicité du patron. Marie était tellement gentille ! Des lettres aux entêtes romantiques du service de communication de l’U.S. Army ou frappées du logo de la Croix rouge française ; du bristol officiel d’ambassades internationales ou timbré de l’hôtel Continental à Saigon. Des lettres et quelques rares cartes postales aux couleurs passées du golf du Tonkin, de la Cochinchine, du « Sud lointain » .

La correspondance était assidue et sentait bon le miel, le thé fleuri des hauts plateaux du Suoi Bu ou les essences rares d’orchidées sauvages. Entre deux paragraphes d’amour enflammés, Antoine décrivait scrupuleusement la couleur terreuse des neuf bras du Mékong, celle des Bougainvilliers. Une palette de nuances qui forçaient le trait d’une vieille France indochinoise un peu pompeuse ; celles coloniales, hétéroclites de la route Mandarine ; celles émeraude des lueurs de l’aube dans la baie d’Along ; celles des lagons paradisiaques, des rizières inondées de vert électrique ; celles, torrides, acidulées des jeunes filles soyeuses dans leurs ao-dai ; celles au parfum érotique, voluptueux et sensuel de pimprenelle, de safran, de citronnelle, de coriandre ou de Darjeeling... Mille camaïeux à l’odeur pestilentielle de nuoc-mam ; mille fresques exotiques composés d’Hévéas, de Théiers, d’Eucalyptus... des jardins entiers de jacquiers, de kapokiers, de micocouliers, d’acacias ou de manguiers... Un paysage de forêts(X) tropicales luxuriantes qui attendaient leur mort imminente comme cinq millions de vietnamiens succomberaient pour finir aux phobies anticommunistes du président Kennedy, du président Johnson, de Richard Nixon, d’Henri Kissinger, du colonel Nguyen Van Thieu, de Tchang Kaï-chek ou du général Franco, et sous les tonnes de bombes de fabrication occidentale.

-X- Au total 72 millions de litres de défoliants ont été répandus sur les forêts et les mangroves (des dioxines en quantité phénoménale) par les forces militaires du « monde libre » et quelque 13 millions de tonnes de bombes (465 fois plus que la puissance d’Hiroshima) soit 265 kg d’explosifs mortels par vietnamien, et quelque idée de gauche ou de droite qu’il défende sur le point de se les prendre sur la gueule.

Au fil des mois, Marie s’était habituée à voyager au rythme des intentions amoureuses et littéraires d’Antoine à l’égard de son corps impatient. Des plis qu’elle ouvrait méticuleusement comme un rituel, toujours assise à la même place au fond du bar où ils s’étaient rencontrés la première fois ; le même que celui où elle se souvenait que Tony lui avait fait la cour cinq ans plus tôt. Des dizaines, plusieurs dizaines de lettres, puis plus rien. Plus rien jusqu’à cette enveloppe jaune, postée à Florence... après plusieurs mois de silence radio. La lettre tapée à la machine à écrire l’avait beaucoup intrigué, comme toutes celles qui suivraient...

Saigon, octobre 1970
Ma petite Marie,
Dans ma dernière lettre, Je t’avais assuré de mon retour précipité, et tu vois, je n’ai pas réussi à tenir ma parole ! J’espère que tu ne m’en tiendras pas trop rigueur. Je me ronge de te revoir. Bien que je n’ai aucune idée ni de l’heure, ni de l’endroit. Ici « c’est l’enfer ! » Mais je crois que je te l’ai déjà dit. Des Niacs planqués partout. On ne peut faire confiance à personne... Les ricains, c’est pareil ! Nixon, B52, bombes, défoliant, agent orange, bleu, blanc... napalm... La bouffe est merdique. Météo dégueulasse. Les bestioles pullulent (moustiques, araignées, sangsues, tigres, serpents)... Je crois que tu ne te plairais vraiment pas dans le coin malgré ton désir que je devine de me rejoindre par n’importe quel moyen. Je reviens de Phnom-Penh où Je me suis fait piqué tout mon matériel photo par une patrouille de G.I.’s. Un beau paquet de salauds aussi ! J’ai vraiment la gerbe ! d’autant que ça fait des semaines que je n’ai pas pu envoyer un seul reportage susceptible d’intéresser un journal. Je suis crevé... En fait, ça va vraiment très mal ici. Les bombes, les morts. Ça pue, c’est horrible ce qu’un mort peut puer même une fois enterré ! Ou plutôt non. Ça pue, mais l’odeur de cadavre permet aussi de relativiser pas mal de choses de la pourriture des vivants. Toute cette merde, tous ces morts... Tout se mélange, la merde et toute la mort qui croupit dedans. Au moment où je te parle, j’ai le nez sur une carte géographique du Cambodge et de la Thaïlande pour respirer un peu... je me dis que je pourrais tout plaquer pour un beau voyage touristique entre la mer de Chine et l’Océan indien ! Hanoi, le Fleuve rouge, la baie d’Along, le Col des nuages, Dalat, Sa Dec... et puis Rangoon, Bangkok, Jakarta, Manille... Je regarde le plan et je t’imagine dans ta petite robe rose en train de marcher juste devant moi pour m’ouvrir la route... tu sais, celle avec laquelle je t’ai pris en photo, je crois que c’était sous le jardin du Préau quelques jours avant mon départ. Je suis sûr que tu serais vraiment très belle ici avec ta robe au milieu des Hibiscus et des Frangipaniers. Je pense à toi. Je t’aime. Mille baisers.
H.C.B.

Le vocabulaire n’était plus vraiment caractéristique des courriers précédents, mais Marie s’était d’abord dit que la guerre ne manquerait jamais de causer des dégâts de toutes sortes, responsables de changements irréversibles chez ceux d’entre nous qui approchaient l’enfer d’un peu trop près. Tous ces mois passés dans la jungle tropicale au milieu des miasmes et de la vermine l’avaient forcément transformé de multiples façons, comme déjà l’épisode dramatique de sa courte vie d’alpiniste lui avait permis de mûrir un peu plus vite que les autres... Oui peut-être cette nouvelle maturité, facile à saisir entre les mots cinglés de son glossaire de guerre aux allures de sentence... témoignait-elle de ce qu’il faudrait aussi juger cette perception d’un changement radical de la pensée d’Antoine à la faveur de plusieurs mois de résistance au milieu de la propagande communiste, des attentats à la bombe et des assassinats politiques de toutes sortes ?

Marie songeait tout de même à sa « robe rose »... Pourquoi Antoine parlait-il de sa robe rose alors qu’il savait très bien qu’elle-même l’avait toujours détestée ? Une robe, tout ce qu’elle avait de plus niaise, et sa couleur rose pâle que tout le monde portait. Un cadeau de Tony.

Et puis cette énigme... cette « dernière lettre » à laquelle son amant faisait référence et dont elle aurait forcément dû se souvenir chaque mot, chaque signe... Ce message d’espoir qu’elle avait attendu si fort.

Appuyée sur ses coudes, assise à une table au fond du Citizen, Marie passa d’abord en revue toutes les pistes d’une explication plausible. Les genoux pudiquement joints, la gorge nouée, une barre au ventre et les yeux rentrés, la jeune femme tenta d’évaluer chaque hypothèse dans le moindre détail avant de considérer sérieusement qu’un courrier en provenance d’une zone d’affrontement considérable comme ce Vietnam à feu et à sang, présentait certainement la possibilité d’un risque militaire de la plus haute importance stratégique. Un commerce, encadré par conséquent de mille précautions d’usage par les différentes forces belligérantes. Aussi, Marie put facilement déduire qu’à l’endroit d’une correspondance postale qu’elle quelle fusse et malgré sa nature amoureuse à destination de l’étranger, pouvait s’insinuer aux yeux de l’ennemi la confidence travestie d’une information capitale pour l’issu du conflit. Quelques services spéciaux de contre-espionnage français ex indochinois ou américains, auraient même pu prévoir d’intercepter les confidences plutôt romantiques d’un jeune reporter énamouré, avant de replacer le message dans le circuit postal fardé d’éléments codés à l’intention d’une filière de renseignement politique du camp opposé. Un vrai coup tordu, et tout à fait indétectable grâce au savoir-faire d’un appareil d’action clandestin mis en place sur le terrain depuis la défaite retentissante du corps expéditionnaire français à Dien Bien Phû, dans une plaine du Tonkin. Certaines initiatives auraient pu mal tourner, certaines lettres disparaître, asphyxiées dans d’improbables mixtures chimiques d’un dispositif viêt-minh encore artisanal... Une mauvaise recette, une simple erreur de dosage ; un emmêlage de pédales dans les proportions de coups de gueule et celles du désir d’effacer nos traces. Au final, des messages inutilisables. Des lettres mortes pour la patrie(X) et pour le cœur brisé de leur destinataire éplorée.

-X- Fermer le ban.


(À SUIVRE)


lundi 15 juin 2009

PHOTOMOBILE™ - 239


LES PHOTOMOBILES™ DE JL GANTNER

(Des images réalisées à partir de son téléphone portable, ses communications régulièrement mises "en ligne". Tout un commerce d'échange et totalement inutile de libres transports avec un vrai mobile d'une bonne marque™ collée sur l'écran. "De l'art moderne" pour ceux qui en douterait, comme on dit aussi "De l'électronique embarquée" ou "De la pression dans un pipeline" )



MESSAGE N°239


PHOTOMOBILE N°239a / JL GANTNER 2007
Message envoyé de Besançon, Franche-Comté, France
18 juillet 2007 à 16H22 GMT

PHOTOMOBILE N°239b / JL GANTNER 2007
Message envoyé de Besançon, Franche-Comté, France
18 juillet 2007 à 16H22 GMT





LES PHOTOMOBILES™


mardi 9 juin 2009

LE COUP DE CHAUD / XIX



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-19-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 9
BLEU CHIOTTES
(où il doit être question de la couleur de l’uniforme, et du mal qu’on doit avoir à l’enfiler)

(SUITE / 2 et fin du chapitre)


Freud rapportait le caractère symbolique d’une névrose « à la probabilité d’un traumatisme d’origine sexuel responsable d’une amnésie partielle ou totale susceptible de masquer l’origine du problème ». J’allais donc procéder par étape. Step by step... confronter un à un les arguments dans l’espoir de dévoiler l’affaire au grand jour. Réunir, une preuve après l’autre, en commençant par le souvenir, l’image d’un contrôleur et de son habit bleu foncé sur le quai d’une gare. Un môme court vers le chef de gare avec l’intention de lui demander de l’aide, mais le mioche se ravise au dernier moment par peur de passer pour un menteur. La scène s’appuie sur le cliché d’un train sur le point de sortir du champ, ou plutôt sur celle d’un représentant de l’ordre des transports ferroviaires en plan serré, donnant le signal du départ avant que le gosse n’ait eu le temps de lui déballer toute l’histoire. L’image s’arrête net. Une tentative d’évasion pour échapper au pire. Une scène de viol au caractère aggravé par la différence d’âge pour être franchement précis et dire les choses comme elles sont. Le pire... Un rapport forcé entre un adulte dégénéré et sa jeune victime désarmée. L’histoire se coupe net à L’entrée du train en gare de La Ciotat... un écran de fumée produit par une locomotive qui marche au charbon devant une foule de spectateurs blasés sur le quai. Le plan est fixe, daté de l’année 1895, un des tout premiers de la grande aventure cinématographique initiée par les frères Lumière. Un impact considérable. Une invention qui transformerait à jamais les rapports que l’humanité entretenait depuis toujours avec le monde sensible et ses fantômes, la subjectivité humaine et les profondeurs du rêve. Oui, tout avait pu commencer comme ça. Un plan maître, droit sur ses rails qui défonce l’écran sans que personne n’en comprenne tout de suite le sens. L’archétype d’un cauchemar possible. L’origine d’un immense malentendu entre ce que les gens attendent tous de partir un jour en voyage, et ce qu’on oublie de leur dire qu’ils n’en reviendront peut-être jamais.

De son côté, Vanessa continuait de buter sur la parabole d’un module géométrique applicable à l’idée d’une ligne suspendue entre son propre cœur livide et ses jeunes organes de génération inspirés. Une ligne... c’est-à-dire une courbe, l’idée d’une trajectoire à suivre comme le résultat d’une circonstance inaltérable, mais déviée, par essence... comme tout dans la nature se déporte, comme tout dérive à force de contraintes répétées « Jamais personne ne suit une ligne droite, ni l’homme, ni l’amibe, ni la mouche ni la branche, ni rien du tout » dit Lacan. La ligne droite c’est le vide, le vide absolu, le vide complètement vide. Le vide comme méthode d’extraction définitive de toute signification des corps visibles et de l’invisible. La droite comme mode d’expression le plus abouti du néant.

— Mais vous mélangez tout... Les voyages lunaires, Freud, la géométrie... l’invention du cinématographe, la politique, le bleu de méthylène, l’entretien des plantes vertes...

Le type assis au bar juste à côté de moi avait d’abord ri. Une simple toux avant de s’éclaircir la gorge au-dessus d’un verre d’eau saturée de vapeur chaude. Le type — pas vraiment le genre de l’éthylique débauché, mais plutôt coureur de fond — joignit ses lèvres en même temps que ses mains, cramponna ses narines à une nappe d’air renouvelée par le climatiseur général, avant de plisser les yeux dans la perspective d’une réplique à propos.

Je le fis tout de même attendre un peu, par principe, et pour prendre le temps de trouver la fonction permettant d’accéder au mode vibreur de mon appareil cellulaire. Je pris encore une large inspiration dans l’intention de rectifier la position de mes épaules. Un truc d’acteurs pour atteindre la bonne profondeur sur scène. Je m’élançais juste au point d’équilibre.

— Tout est lié. La droite ligne des espaces vides et les cercles magiques qui nous agitent l’esprit. Tout est lié. Vous, moi, la nature sauvage et le chant des milliards d’étoiles dans l’univers. Tout s'amarre, tout s’unit. La technique de la valse et la danse des neutrons, la théorie des cordes et la pluie...

J’avais alors longuement pressé la touche principale de mon téléphone portable et vérifié le résultat sur l’écran pour être tout à fait sûr que personne ne puisse plus nous déranger. Mon interlocuteur feignit un sentiment neutre à l’intention de mon geste pourtant très explicite. Je commandais un autre verre de Porto pendant qu’elle me fit remarquer mon intention hypocrite de passer outre le nombre de cigarettes que je m’étais fixées à ne plus dépasser depuis plusieurs mois. Elle... Sa tête était toujours lovée autour de mon cou, pendant que sa main continuait de fouiller ma poche de pantalon d’un geste à peine camouflé. Une sorte d’habitude qu’elle avait de s’introduire, de s’insinuer dans les conversations des gens. Le type vit les yeux de la jeune femme renversés, grands ouverts, son corps ostensible, sa respiration bien visible sur sa bouche. Vous n’imaginez pas la beauté de cette fille ! Une torture... Le terminal maritime de toutes les jolies choses à vendre qu’il puisse se trouver à réunir dans ce vaste monde. Un navire entier de splendeurs raffinées, de recettes exotiques délicieuses ; des palettes de gourmandises fantastiques... et veuillez pardonner ma digression alors que son visage me revient rapidement en mémoire. Son visage confiné à l’âge de l’enfance, sa nuque de verre, son ventre atomique et ses cuisses ; l’intérieur de ses cuisses... l’odeur de pluie, de thé vert répandu sur son sexe ; le parfum de terre cuite entre ses seins. Il s’obstinait à le nier, mais rien n’avait jamais été plus excitant que d’avoir couché avec sa femme les premières fois. L’espace d’une seule nuit avait suffi pour comprendre, quelques baisers sur ses yeux et les rafales de plaisirs entre ses reins pendant qu’il l’embrassait pour l’empêcher de crier. Tout ça lui manquait. Il avait trouvé la vie tellement triste juste après.

— L’avenir, Monsieur... et juste pour continuer sur le terrain de l’esprit clair, celui de « l’intellection » comme disait Descartes... L’avenir est à l’acceptation d’une nouvelle méthode de raisonnement par le procédé du foisonnement de coups de chaleurs dans le dos. Une révolution copernicienne en matière d’argumentaire. Un Modus operandi de la pensée qui découlerait naturellement d’un carambolage de souvenirs hétérogènes et d’histoires d’amours tronquées.

Darwin appelait ça « la révolte mentale », une forme de libération de l’esprit qui permit tout de même au grand homme de rédiger sa théorie de l’évolution par la sélection des espèces. Dois-je vraiment vous faire un dessin ?! Oui, tout est lié. Tout s’accorde comme le jour et la nuit, les marrées montantes et les histoires d’amours volées.

Mais laissez-moi revenir un instant à Freud, justement ; à cette « origine » dont nous parlions il y a tout juste un instant... Car vous verrez comme je vous le disais, que oui, tout est absolument lié. Laissez-moi revenir à ce fameux traumatisme originel responsable d’une certaine amnésie générale de nos sociétés modernes engluées dans ses psychoses de toutes sortes... Et imaginez un instant cette forme primitive du vivant —par comparaison—, un organisme unicellulaire, une algue la plus simple qu’il soit ; une algue qui dut un jour, il y a 1,5 milliards d’années, faire le choix d’un troc insensé. Celui de réussir une première relation sexuelle avec son semblable, mais au péril de sa propre vie... Cette invention d’une mort programmée pour chacun, comme corollaire d’une belle aventure amoureuse qui commençait sur la terre... Oui, car tout en vérité a bel et bien commencé de cette manière. À l’émergence des premiers organismes complexes aux amours éperdus, aura correspondu la fin d’une époque dorée, un âge d’or de la vie qui ne connaissait rien de l’idée saugrenue d’avoir forcément à disparaître un jour dans les arcanes d’une nuit infinie. Mourir pour elle... Voilà toute l’histoire. Pendant qu’elle... mourrait peut-être aussi d’amour pour lui. La belle histoire ! Mourir pour elle alors qu’un paquet de trains lui était déjà passés dessus. Et le beau voyage ne faisait que commencer.


(À SUIVRE)


jeudi 4 juin 2009

PHOTOMOBILE™ - 03


LES PHOTOMOBILES™ DE JL GANTNER

(Des images réalisées à partir de son téléphone portable, ses communications régulièrement mises "en ligne". Tout un commerce d'échange et totalement inutile de libres transports avec un vrai mobile d'une bonne marque™ collée sur l'écran. "De l'art moderne" pour ceux qui en douterait, comme on dit aussi "De l'électronique embarquée" ou "De la pression dans un pipeline" )



MESSAGE N°03


PHOTOMOBILE N°03 / JL GANTNER 2007
Message envoyé de Paris, 10e arr., France
15 févr 2006 à 16H12 GMT





LES PHOTOMOBILES™/JL GANTNER



LE COUP DE CHAUD / XVIII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-18-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


(PUBLICITÉ)



CHAPITRE 9
BLEU CHIOTTES
(où il doit être question de la couleur de l’uniforme, et du mal qu’on doit avoir à l’enfiler)

(SUITE / 1)


Tony guettait sa montre, affalé sur le canapé en skaï du salon-cuisine-salle-à-manger, qui servait aussi de chambre à coucher. Tony guettait l’heure sur fond de parasites d’origine lunaire accrochés à un écran bien arrondi dans les coins ; les premiers retransmis en direct sur la planète entière. Un programme de télévision en noir et blanc, à vingt-cinq milliards de dollars... décidé huit ans plus tôt par le président J. F. Kennedy pour faire la nique aux communistes sur leur propre terrain des dépenses publiques exagérées, celui d’un ostensible esprit de clocher livré avec. Le vieux truc de l’exhibition héroïque un peu bestiale des sociétés grégaires pour continuer d’en remontrer à son ennemi intime et se rassurer soi-même sur sa propre force intérieure. Le truc du type qui se la pète en public avec ses tours de passe-passe à dix balles pour épater les gogos. Le genre de magicien d’Oz qui se la raconte depuis le début avec sa grosse voix truquée en se cachant derrière un écran de fumée pour éviter d’être confondu trop tôt aux commandes de sa machine de foire. Un Dr Marvel et sa boule de cristal pour en refiler à Dorothy Gale dés le début de la version du film de 1939 réalisé par Victor Fleming pour la Metro... oui, imaginez la tête de la jeune Judy Garland sous contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer, obligée de suivre son chemin en briques jaunes dans une forêt de carton-pâte aux bras d’un homme de paille sans cervelle, d’un lion en toc et d’un homme de fer en papier d’alu pour retrouver la trace d’un David Coperfield de pacotille, un mage de cinoche avec son bouquet de plumes dans le cul et ses poches remplies. L’histoire d’une petite fermière du Kansas aux couettes bien nouées qui se prend un battant de fenêtre en pleine figure avant d’ouvrir une porte sur un jardin en technicolor™. L’histoire d’une toute jeune chanteuse américaine et sa robe à bretelles, subjuguée par la beauté des arcs-en-ciels et l’incroyable harmonie du décor en polystyrène expansé, les ornements merveilleux qui se cachent derrière les apparences grossières du monde libre et des bannières étoilées. Dorothy Gale et son petit panier d’osier attaché au bras pendant tout le film ; la méchante sorcière de l’Ouest qui veut lui piquer ses pompes plombées de rubis étincelants ; la gentille fée du Nord qui la protège (la belle Billie Burke...)
Oui, imaginez le travail, l’ouvrage astucieux d’un vieux sorcier libéral, occupé à peaufiner une paire d’idées de gauche pour tenter d’impressionner une jeune ingénue aux cheveux bien mis. Un aéronaute de cirque qui attend son heure avant de conclure sur son traité de la morale appliquée aux animaux en peluche. Un ensorceleur de première classe dans le genre de l’acteur embauché par la Fox pour jouer les capitaine Von Trapp, alias Christopher Plummer dans la Mélodie du bonheur face à Julie Andrews, alias Mary Poppins dans un autre film. Je ne sais pas si vous pouvez vous imaginez le tableau ?!...

Lorsque la porte d’entrée-vestibule-salon-cuisine-salle-à-manger, qui servait aussi de chambre à coucher, finit par s’ouvrir avec sa femme pendue aux bras d’un flic ; Tony ne bougea pas un cil. La friture hertzienne noir & blanc en forme de mission Apollo 11 - bip - tentait de restituer l’événement considérable de l’alunissage du LEM - bip - et des premiers pas de Buzz Aldrin - bip - sur la mer de la tranquillité juste après ceux de son coéquipier - bip - Neil Amstrong (les seules considérées comme traces officielles... de la plus déroutante des histoires qu’il fut un jour possible de raconter à l’humanité toute entière et sur toute la surface de la terre en même temps). Jules - bip - dans son lit-chambre-à-coucher-salon-vestibule-porte-d’entrée - bip - suivait aussi l’entreprise historique d’un vaisseau habité fabuleux, transporté dans les champs magnétiques et les radiations mortelles de l’espace infini. Ce 21 juillet 1969 aux alentours de 4 heures du matin heure française, Neil Amstrong et Buzz Aldrin marchaient sur la surface d’un tas de sable lunaire à une distance de presque 400 000 Km de la terre. Et non seulement ils marchaient, mais on les voyait marcher à la télévision.

That's one small step for man - bip - one giant leap for mankind. Un petit pas pour l’homme et (...) « Une grande claque dans ta gueule ! » répondit Tony du tac au tac, les pieds posés sur un pouf en plastique aux allures de sablier-engin-spatial bicolore orange et bleu.

- « T’étais passé où, putain ?!... »

Au Manned Spacecraft Center de Houston, Texas, Gene Krantz, le directeur de vol, alias Ed Harris (dans Apollo 13), plissa très légèrement les yeux sous sa coupe de cheveux en brosse et fit encore un geste automatique de la main pour lisser le gilet blanc qu’il portait spécialement pour l’occasion.Ce jour... de l’anniversaire... de leur rencontre.

Marie revit son flic quelques jours plus tard. Pour tout dire, elle en rencontra même plusieurs par la suite. D’abord pour remercier Poule et ses collègues de l’avoir tirée de son alunissage forcé en pleine nuit sur un rebord de trottoir de la rue Michelet... puis par goût pour la fonction publique, les questions d’ordre et de sécurité. L’uniforme la rassurait. Un habit bleu, Marie pensait que le costume leur allait bien, leur Browning 7,65 agrafé à la ceinture aussi.

C’est à cette époque précise que Tony commença de ressentir les premiers signes de ses problèmes gastriques. Les maux d’estomac de Tony répondaient aux migraines de Marie qui s’accordaient aux coliques de Jules. L’histoire d’amour de la famille Chaumont avait fini par foutre en l’air tout un processus naturel de régulation des transits sur lequel l’aspirineX industrielle n’eut rapidement plus aucun effet bénéfique.

Je ne sais plus si c’est Jules qui m’avait confié cette remarque sur la santé du couple ? Jules ou Marie elle-même. Ça n’avait d’ailleurs pas vraiment d’importance. Je pensais juste à cette notion selon laquelle les plantes portent en elles toute la complexité du vivant, et encore, disposent-elles aussi d’une véritable mémoire propre à son besoin d’adaptation au contraire de nos souvenirs coriaces qui nous empêchent d’avancer malgré la tempête, toute la merde collée sous nos pompes qui nous défend de courir trop vite en dehors des sentiers battus. Une mémoire... cette idée bizarre qu’une simple plante puisse se souvenir de quoi que ce soit des grands équilibres du monde et des histoires d’amour qui dérèglent les vents d’ouest. Une simple plante. Je décidais de feuilleter un petit herbier médicinal en m’arrêtant au chapitre du Saule, Salix alba. Un simple exercice pour essayer de mesurer ma propre capacité à me souvenir de tout, dans le détail, et de voir si ça changerait quelque chose d’une manière générale dans ce qu’il restait de notre atmosphère complètement détraqué. Un paragraphe concernait la salicine, le principe actif contenu dans le Saule pleureur mais aussi un peu plus tôt dans l’abécédaire forestier à la page du peuplier. J’avais lu, les jambes croisées, trois doigts contractés sur le front et d’un seul trait, que l’écorce du Saule contenait quelques 10% de Salicosides que le corps humain transformait facilement en acide Salicylique (de l’aspirine naturelle en quelque sorte, mais aux propriétés thérapeutiques bien plus étendues que dans son équivalent de synthèse). Un complexe antinévralgique et antispasmodique, un calmant nerveux, à la fois fébrifuge et tonique digestif... Une véritable pharmacie naturelle. Je pris encore quelques notes sur le caractère anesthésique de cette substance active d’origine hormonale ; la recette d’une décoction à raison de 30 g d’écorce par litre à faire bouillir, puis infuser une dizaine de minutes. Un sédatif génital, capable disait-on, de retenir l’ardeur des nymphomanes, de comprimer toutes formes de frénésie utérine maladive ; un remède parfaitement efficace contre l’hyperexcitation vénérienne... un analgésique susceptible d'endiguer la plupart des crises satyriasiques, (trois tasses par jour minimum)... toutes sortes de natures sexuelles insolites, d’industries obscènes et de comportements lubriques réprimés par la morale convenue. Une simple plante. J’étais très impressionné. Par tempérament, l’esprit d’une volonté de tout vouloir vérifier, j’entrepris par la suite une lecture assidue de certaines études menées en laboratoire rapportant les effets constatés sur le corps humain à partir d’une pratique de la phytothérapie ancestrale. En réalité, j’étais prêt à tout pour retrouver un semblant d’inspiration, cette sorte de flottement cérébral indispensable à toute construction d’esprit, un emplâtre d’idées en l’air fulgurantes. Je pensais à cette perturbation, ce dérèglement du principe d’apesanteur rapporté au mode d’expression d’un cœur estropié ; une aberration psychique accidentelle capable d’entraîner des effets pervers chroniques entre le jeu de l’intention et une multitude d’effets induits inespérés.

Je vous livre là l’expérience comme elle vient, d’une tentative de perversion intellectuelle destinée à produire un changement de cap et quelques dommages collatéraux sur une échelle de valeurs d’échanges élémentaires entre vous et moi. Un vice de conformation néanmoins très instructif, capital pour appréhender de manière lucide les grandes mutations sociétales à venir et les changements climatiques annoncés. Un accident. Un simple accident de parcours dont n’importe quel médecin saurait vous dire qu’il résulte en réalité d’un long processus de macération d’un certain nombre d’éléments précurseurs regroupés en symptômes d’une complication clinique à venir. Une complication... comme une mélancolie maladive, le déclenchement d’une peur atroce à propos de tout et de rien, une névrose émotive qui s’installe en vous comme une ecchymose de l’âme en déroute. Le sentiment d’une détresse étrangère qui vous submerge. J’avais tout essayé, les hallucinations, les phobies de toutes sortes, l’hypocondrie, les délires érotiques et les impulsions d’homicides. J’avais tout essayé, et presque tout lu pour tenter d’y remédier, sans succès ; un tas d’articles et des dizaines de pages web sur les processus de la mémoire confrontée aux épreuves de l’enfance et ses dérives inconscientes à partir de l’âge adulte. Des conflits psychiques, des personnalités qui s’opposent... J’avais décidé de ne rien laissé au hasard, de ne laisser aucun doute subsister quand à l’origine des calamités qui m’attendaient. Tout avait certainement pu commencer comme ça. Un accident.


(À SUIVRE)