mardi 7 avril 2009

LE COUP DE CHAUD / XV



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-15-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 7
L'AMANITE TUE-MOUCHES
Amanita muscaria
(SUITE / 3)


Un après-midi d’avril, alors qu’il était venu récupérer son disque Sgt Pepper’s des Beatles dans l’appartement de ses parents, la jeune astrologue le contraignit une dernière fois à conclure un pacte avec les puissances occultes de la forêt voisine, un dernier soubresaut amoureux. Il faisait encore frais, l’ex alpiniste, le forceur de cimes à la retraite… n’avait pas forcément envie de sortir pour baiser dans la nuit noire des sous-bois et pensait aussi qu’il aurait l’impression de s’agiter dans le sens d’un lointain souvenir, ce qu’il détestait comme toutes autres formes de conservatisme ; par principe, ou par opposition momentanée, conjoncturelle… à son éducation bourgeoise. Le jeune homme préféra d’abord discuter de Their Satanic Majesties Request, le dernier album des Rolling stones. « Psychédélique et… nul ! » Marion se déshabilla doucement avant de s’allonger sur le banc de la cuisine en bois blond d’origine suédoise (le souvenir d’un voyage à Stockholm ramené par ses parents). Antoine regretta le fauteuil à médaillon de sa mère, mais vaqua tout de même à son devoir de mémoire avec l’ardeur de son âge et l’envie de tester les limites de la résistance scandinave à l’export. Un truc en kit vendu sur catalogue, du prêt-à-monter en un seul tour de vis avec des chevilles plastiques. Marion tenta de retenir Antoine en elle par quelques procédés magiques de sa propre invention, lui rappela son arbre de vie à la croisée de tous les chemins qu’ils avaient emprunté ensemble depuis près d’un an ; tout ce qui leur avait plu de partager dans le paysage des grandes forêts enchantées ; les colonies de saprophytes dans l’ombre humide des ramures, des russules violettes aux pieds charnus qui les avaient tant fait rire, les geais et les pinsons, les petits écureuils qui couraient sur les troncs… leur abécédaire commun pour parler de leurs convictions respectives, même s’ils n’étaient jamais d’accords sur le fond ; enfin, la possibilité d’une dernière aventure sur le terrain des croisements naturels et de la division cellulaire. Marion au martyr et perlée de sueur parfumée de brumes assassines ferma encore une fois les yeux en hurlant avant de coller une gifle magistrale au grand amour de sa vie. Tout ce que j’ai sur le cœur… tes regards infestés de mousses intangibles, toutes ces marques de toi sur mon corps, ton mépris du ciel, tes empreintes de doigts sur ma peau infectée, tes regards jetés sur le vide, ta propre mort dans ma vie, tes abîmes à en crever, tes masques d’adieux peints sur les murs de mon lit. Putain, va te faire foutre ! Dégage ! Puisses-tu déguerpir de ma vie que je puisse enfin pleurer, me répandre… que je puisse enfin tout cramer. Mon héros… Tout ton corps meurtri, tes armures essentielles ; tes yeux bleus comme le ciel, toutes tes marées, tes angles de grandes profondeurs et tes horizons lointains… Antoine n’avait pas tout compris. S’était juste rhabillé, savait que c’était la dernière fois qu’il se rhabillait dans les yeux de Marion pour de vrai. Antoine s’était dit qu’elle était tellement belle, son corps merveilleux, l’odeur de sa peau… Le garçon s’était dit que Marion fût aussi un peu fragile, dans son ventre qui contenait l’univers et mille étoiles pour essayer de le faire briller. Antoine s’était dit, oui, qu’il serait bien resté, mais que ce ventre-là aurait fini par lui foutre la trouille, une frousse épouvantable… La trouille de vivre à deux sans le moindre espace pour les séparer du monde réel (à deux sous le même toit et un p’tit).
Au mois d’août soixante-huit, les esprits lunaires auraient achevé d’accomplir leur ouvrage dans un immense sentiment de tristesse partagée de part et d’autre du rideau de fer qui séparait encore l’Europe en deux façons de penser strictement contradictoires. (Ceux qui affirmaient l’impératif d’un Prince comme ingénieur du désir et de quelque liberté que ce fut, comme corollaire indispensable à une sorte de pax romana moderne. « Pas de société sans pouvoir » affirmaient ceux-là... contre ceux de la grande tradition libertaire, ceux qui refusaient tout en bloc ; ceux qui préféraient voler de leurs propres ailes, mais qui finiraient aussi par vouloir garder tout l’air pour eux. Ceux qui espéraient dans la solidarité sociale, et ceux qui pensaient qu’elle représentait un coût exorbitant pour la réussite de leurs affaires. Ceux qui croyaient à la stricte application des contrats qui auraient tenté d’attaché les individus au groupe dans la perspective du bien commun, disons Rousseau, pour aller vite... contre ceux, plus tard, qui avaient plutôt souhaité s’attacher entre eux de la manière qu’ils leur plairait ; disons les sado masochistes pour rigoler un peu. Le droit public contre le droit privé. Le droit de s’aimer un peu contre le droit de continuer de se faire enculer...) Tout le monde finirait par oublier Prague, au moins jusqu’à l’hiver quatre-vingt-neuf… Prague et puis les voyages d’agrément à Moscou jusqu’à l’installation du premier Mc Do sur la place rouge, la fin des années de plomb ; Prague, Moscou, Pékin… la révolution culturelle en Chine et le reste ; comme on oublierait plus tard les morts en Somalie, le Bengladesh, le Rwanda… comme on oublierait tout ce qu’on s’amusait bien dans les manifs (95, 2002...), comme tout le monde oublie tout si facilement, comme Antoine oublierait aussi Marion, comme vous, comme moi.


(À SUIVRE)