jeudi 18 juin 2009

LE COUP DE CHAUD / XX



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-20-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


(PUBLICITÉ)



CHAPITRE 10
UNE HISTOIRE D’ABSTRACTION...
(Selon le principe de la récupération, le procédé de l’appropriation / Disons l’histoire d’un vol... et l’idée d’une restitution sous la forme qu’il convient le mieux dans le contexte d’une histoire d’amour qui dérape).




Antoine n’était pas revenu. Une année entière au Vietnam... et Antoine n’était pas revenu.

Marie avait eu très régulièrement des nouvelles au début ; des lettres de passion ardente comme son amant les lui avait promises sur le quai de la gare juste avant de foutre le camp pour de bon. Des lettres que le jeune reporter lui envoyait à l’adresse du Kane avec la complicité du patron. Marie était tellement gentille ! Des lettres aux entêtes romantiques du service de communication de l’U.S. Army ou frappées du logo de la Croix rouge française ; du bristol officiel d’ambassades internationales ou timbré de l’hôtel Continental à Saigon. Des lettres et quelques rares cartes postales aux couleurs passées du golf du Tonkin, de la Cochinchine, du « Sud lointain » .

La correspondance était assidue et sentait bon le miel, le thé fleuri des hauts plateaux du Suoi Bu ou les essences rares d’orchidées sauvages. Entre deux paragraphes d’amour enflammés, Antoine décrivait scrupuleusement la couleur terreuse des neuf bras du Mékong, celle des Bougainvilliers. Une palette de nuances qui forçaient le trait d’une vieille France indochinoise un peu pompeuse ; celles coloniales, hétéroclites de la route Mandarine ; celles émeraude des lueurs de l’aube dans la baie d’Along ; celles des lagons paradisiaques, des rizières inondées de vert électrique ; celles, torrides, acidulées des jeunes filles soyeuses dans leurs ao-dai ; celles au parfum érotique, voluptueux et sensuel de pimprenelle, de safran, de citronnelle, de coriandre ou de Darjeeling... Mille camaïeux à l’odeur pestilentielle de nuoc-mam ; mille fresques exotiques composés d’Hévéas, de Théiers, d’Eucalyptus... des jardins entiers de jacquiers, de kapokiers, de micocouliers, d’acacias ou de manguiers... Un paysage de forêts(X) tropicales luxuriantes qui attendaient leur mort imminente comme cinq millions de vietnamiens succomberaient pour finir aux phobies anticommunistes du président Kennedy, du président Johnson, de Richard Nixon, d’Henri Kissinger, du colonel Nguyen Van Thieu, de Tchang Kaï-chek ou du général Franco, et sous les tonnes de bombes de fabrication occidentale.

-X- Au total 72 millions de litres de défoliants ont été répandus sur les forêts et les mangroves (des dioxines en quantité phénoménale) par les forces militaires du « monde libre » et quelque 13 millions de tonnes de bombes (465 fois plus que la puissance d’Hiroshima) soit 265 kg d’explosifs mortels par vietnamien, et quelque idée de gauche ou de droite qu’il défende sur le point de se les prendre sur la gueule.

Au fil des mois, Marie s’était habituée à voyager au rythme des intentions amoureuses et littéraires d’Antoine à l’égard de son corps impatient. Des plis qu’elle ouvrait méticuleusement comme un rituel, toujours assise à la même place au fond du bar où ils s’étaient rencontrés la première fois ; le même que celui où elle se souvenait que Tony lui avait fait la cour cinq ans plus tôt. Des dizaines, plusieurs dizaines de lettres, puis plus rien. Plus rien jusqu’à cette enveloppe jaune, postée à Florence... après plusieurs mois de silence radio. La lettre tapée à la machine à écrire l’avait beaucoup intrigué, comme toutes celles qui suivraient...

Saigon, octobre 1970
Ma petite Marie,
Dans ma dernière lettre, Je t’avais assuré de mon retour précipité, et tu vois, je n’ai pas réussi à tenir ma parole ! J’espère que tu ne m’en tiendras pas trop rigueur. Je me ronge de te revoir. Bien que je n’ai aucune idée ni de l’heure, ni de l’endroit. Ici « c’est l’enfer ! » Mais je crois que je te l’ai déjà dit. Des Niacs planqués partout. On ne peut faire confiance à personne... Les ricains, c’est pareil ! Nixon, B52, bombes, défoliant, agent orange, bleu, blanc... napalm... La bouffe est merdique. Météo dégueulasse. Les bestioles pullulent (moustiques, araignées, sangsues, tigres, serpents)... Je crois que tu ne te plairais vraiment pas dans le coin malgré ton désir que je devine de me rejoindre par n’importe quel moyen. Je reviens de Phnom-Penh où Je me suis fait piqué tout mon matériel photo par une patrouille de G.I.’s. Un beau paquet de salauds aussi ! J’ai vraiment la gerbe ! d’autant que ça fait des semaines que je n’ai pas pu envoyer un seul reportage susceptible d’intéresser un journal. Je suis crevé... En fait, ça va vraiment très mal ici. Les bombes, les morts. Ça pue, c’est horrible ce qu’un mort peut puer même une fois enterré ! Ou plutôt non. Ça pue, mais l’odeur de cadavre permet aussi de relativiser pas mal de choses de la pourriture des vivants. Toute cette merde, tous ces morts... Tout se mélange, la merde et toute la mort qui croupit dedans. Au moment où je te parle, j’ai le nez sur une carte géographique du Cambodge et de la Thaïlande pour respirer un peu... je me dis que je pourrais tout plaquer pour un beau voyage touristique entre la mer de Chine et l’Océan indien ! Hanoi, le Fleuve rouge, la baie d’Along, le Col des nuages, Dalat, Sa Dec... et puis Rangoon, Bangkok, Jakarta, Manille... Je regarde le plan et je t’imagine dans ta petite robe rose en train de marcher juste devant moi pour m’ouvrir la route... tu sais, celle avec laquelle je t’ai pris en photo, je crois que c’était sous le jardin du Préau quelques jours avant mon départ. Je suis sûr que tu serais vraiment très belle ici avec ta robe au milieu des Hibiscus et des Frangipaniers. Je pense à toi. Je t’aime. Mille baisers.
H.C.B.

Le vocabulaire n’était plus vraiment caractéristique des courriers précédents, mais Marie s’était d’abord dit que la guerre ne manquerait jamais de causer des dégâts de toutes sortes, responsables de changements irréversibles chez ceux d’entre nous qui approchaient l’enfer d’un peu trop près. Tous ces mois passés dans la jungle tropicale au milieu des miasmes et de la vermine l’avaient forcément transformé de multiples façons, comme déjà l’épisode dramatique de sa courte vie d’alpiniste lui avait permis de mûrir un peu plus vite que les autres... Oui peut-être cette nouvelle maturité, facile à saisir entre les mots cinglés de son glossaire de guerre aux allures de sentence... témoignait-elle de ce qu’il faudrait aussi juger cette perception d’un changement radical de la pensée d’Antoine à la faveur de plusieurs mois de résistance au milieu de la propagande communiste, des attentats à la bombe et des assassinats politiques de toutes sortes ?

Marie songeait tout de même à sa « robe rose »... Pourquoi Antoine parlait-il de sa robe rose alors qu’il savait très bien qu’elle-même l’avait toujours détestée ? Une robe, tout ce qu’elle avait de plus niaise, et sa couleur rose pâle que tout le monde portait. Un cadeau de Tony.

Et puis cette énigme... cette « dernière lettre » à laquelle son amant faisait référence et dont elle aurait forcément dû se souvenir chaque mot, chaque signe... Ce message d’espoir qu’elle avait attendu si fort.

Appuyée sur ses coudes, assise à une table au fond du Citizen, Marie passa d’abord en revue toutes les pistes d’une explication plausible. Les genoux pudiquement joints, la gorge nouée, une barre au ventre et les yeux rentrés, la jeune femme tenta d’évaluer chaque hypothèse dans le moindre détail avant de considérer sérieusement qu’un courrier en provenance d’une zone d’affrontement considérable comme ce Vietnam à feu et à sang, présentait certainement la possibilité d’un risque militaire de la plus haute importance stratégique. Un commerce, encadré par conséquent de mille précautions d’usage par les différentes forces belligérantes. Aussi, Marie put facilement déduire qu’à l’endroit d’une correspondance postale qu’elle quelle fusse et malgré sa nature amoureuse à destination de l’étranger, pouvait s’insinuer aux yeux de l’ennemi la confidence travestie d’une information capitale pour l’issu du conflit. Quelques services spéciaux de contre-espionnage français ex indochinois ou américains, auraient même pu prévoir d’intercepter les confidences plutôt romantiques d’un jeune reporter énamouré, avant de replacer le message dans le circuit postal fardé d’éléments codés à l’intention d’une filière de renseignement politique du camp opposé. Un vrai coup tordu, et tout à fait indétectable grâce au savoir-faire d’un appareil d’action clandestin mis en place sur le terrain depuis la défaite retentissante du corps expéditionnaire français à Dien Bien Phû, dans une plaine du Tonkin. Certaines initiatives auraient pu mal tourner, certaines lettres disparaître, asphyxiées dans d’improbables mixtures chimiques d’un dispositif viêt-minh encore artisanal... Une mauvaise recette, une simple erreur de dosage ; un emmêlage de pédales dans les proportions de coups de gueule et celles du désir d’effacer nos traces. Au final, des messages inutilisables. Des lettres mortes pour la patrie(X) et pour le cœur brisé de leur destinataire éplorée.

-X- Fermer le ban.


(À SUIVRE)