dimanche 4 octobre 2009

LE COUP DE CHAUD / XXXII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-32-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


(PUBLICITÉ)



CHAPITRE 15
JUILLET 1970
(SUITE)



Ce 21 juillet 1969 au milieu de la nuit, où ce flic l’avait ramassée, disons juste avant 4 heures, après qu’une sorte de trou noir l’eut avalée complètement.... Cette drôle de nuit où Marie eût un peu de mal à mesurer concrètement qu’Antoine s’était fait la malle pour le Vietnam, et sans véritable promesse d’en revenir jamais... Ce jour, exactement, celui de son anniversaire. Ce 21 juillet qui commençait à peine alors qu’elle venait juste de tenter d’en finir une bonne foi pour toutes avec les lois universelles des conjonctions astrales, les histoires d’amour à dix balles, les leçons que tout le monde donne pour se rassurer du sort hasardeux des digues d’argile et des retenues d’eau dans l’air humide et poisseux des sentiments humains égarés.

Tony repensait à cette nuit-là lorsque le fils Beauregard, le petit Comte à son père, ses yeux bleu gris et sa longue tignasse blonde terminée en boucles sur une paire d’épaules kaki... fit son entrée au seuil d’un rideau de scène de bistrot pour jouer son dernier acte dans la vie de Marie. Cette nuit où il les avait suivis, elle, et ses talons aiguilles enfilés à la hâte par-dessus ses pieds nus, sa robe rose qu’il lui avait achetée aux Magasins Réunis grâce à des chantiers au noir, un peu de boulot non déclaré pour essayer de lui faire plaisir avec un bout de tissu très au-dessus de ses moyens ; lui, « ce sale petit con ! » et son Leica™ M6 attaché autour du cou, un modèle d’appareil photos mythique acheté flambant neuf. Ce fils de pute. Cette nuit, où il les avait vus s'étreindre sous la verrière métallique immense et blême. Deux corps affligés sur le quai N°2 en direction du Vietnam via une correspondance parisienne. Tony se souvenait de tout, mais ne voulait plus piper mot depuis cette vision d’un tableau tragique à l’endroit de son cœur fendu.

« Il était donc revenu. Ce fumier, cette saloperie d’enfant de putain était revenu pile comme il l’avait écrit dans sa dernière lettre !... » Antoine avait donc rappliqué pour elle, pour cette petite garce qui aurait certainement accouru au premier signe de ce crétin de Kane qui trempait dans leur combine depuis le début. Et elle aurait su, elle, sa propre femme, la femme de sa vie, la seule qu’il n’aurait jamais aimée... qu’Antoine était rentré de voyage rien que pour ses jolis yeux tristes mélangés à sa bouche pâle et à son petit nez retroussé ; ses cheveux peignés à la Vidal Sassoon qu’Antoine avait tant aimé caresser et son petit cul aussi ; c’est ça ! son petit cul et l’intérieur sucré de ses cuisses. Elle, Marie, une simple bonnetière à la chaîne sous-payée, une ouvrière assujettie aux tours de vice du grand capital le jour, et à la concurrence asiatique le restant de la nuit. De la main d’œuvre féminine à bon « Comte » (Les Comtes™ père & fils...) L’un et l’autre, associés dans l’affaire d’un coup tordu de premier ordre et malgré qu’ils ne se soient jamais revus depuis la mort de Madeleine. Mais cette fois Tony ne se laisserait pas faire... Il avait prévu d’en découdre là, maintenant et sans plus attendre d’être une nouvelle fois humilié, rétrogradé au rang minable de conjoint trahi, déchu de fait, de tous ses droits exclusifs envers le grand amour de sa vie, son petit rayon de soleil rien qu’à lui, sa Juliette... sa seule et unique raison de vivre. Tony avait tout minutieusement préparé depuis la dernière lettre qu’il avait interceptée de ce trou du cul ; juste à temps pour tout prévoir dans les moindres détails. Un projet diabolique. Le dessein hideux d’une vengeance blennorrhagique pestilentielle. Kane fut condamné à suivre sans discuter. « Ce sale maquereau... » Le patron avait fini par tout avouer : L’affaire d’une poste restante derrière le comptoir, les signes convenus du taulier à la gosse les jours de distribution. (Depuis près d’un an, Kane avait servi d’intermédiaire, comme qui dirait d’agent de liaison pour les beaux yeux de la môme Chaumont, son cœur épris pour « ce p’tit gars mûr au branle-bas, paré pour la bourlingue et les coups de suifs... Un qu’en avait encore un peu dans les claouis. Le genre qui n’avait pas froid aux yeux malgré ses cheveux longs... » Kane... l’ancien d’Algérie ; un de la 10e qui conservait la photo du général Massu sous la forme d’un retable à trois volets accroché derrière son rade, juste à côté du calendrier des postes. Ce qui pouvait aussi expliquer la manière qu’il avait eu d’agir dans l’intérêt d’un de ces « petits cons » prêts à s’enrôler dans le camp « des enfouraillés de première classe, pour ratiboiser du niac à la tonne et continuer de nettoyer la planète de toute la vermine communiste qui proliférait ». À l’époque, Antoine lavait laissé dire l’ancien para et gamberger à peu près sur tout ce que cette vieille saloperie de FAF voulait bien entendre à propos des motifs qui appuyaient son départ précipité ; voyant là, l’objet de son futur avantage assuré, comme pour celui de Marie...)

Le type s’était assis, avait commandé une pression, déposé son Zippo® au logo embouti sur le zinc (un modèle hybride, regular en laiton chromé et au couvercle de 1968 soudé à l’étain sur un corps qu’on devinait plus ancien ; un bricolage de guerre qui faisait son petit effet sur les tables des troquets de l’arrière, les gargotes de planqués). Pétrifié derrière son bar, Kane fit d’abord mine de ne rien voir ni rien entendre... Au bout d’une minute qu’il ne se passât rien, Antoine pria le taulier un ton au-dessus, « s’excusant qu’il pût éventuellement ne pas avoir été entendu la première fois, au sujet d’un bock de gueuze qu’il croyait pourtant avoir commandé en entrant ». L’espèce de flibustier en treillis de l’armée américaine déjà en déroute dans le Sud-est asiatique, ce retrousseur de jupons, ce traficoteur de fleurs fragiles en plein come back... accompagna son exhortation d’un geste du bras dans la direction de ce faux derche de Kane, ramenant son poing fermé dans un court trajet circulaire dont n’importe quel barman aurait tout de suite pu saisi le sens évident. N’importe lequel... sauf ce blaireau de Kane, justement ! pétochard comme pas deux, dés qu’il s’agissait d’autre chose que de la ramener à propos de son tiroir-caisse ou de la main d’œuvre étrangère qui en bénéficiait. « Toutes ces feignasses qui rodaient dans les parages... cette équipe de cossards occupés au bistrot moyennant tout ce que le trésor public ramassait auprès des buvetiers honnêtes pour indemniser les poivrots d’importation. Ces saloperies de gauchistes, les rats ! Toutes ces foutues contributions... qui finiraient par le foutre sur la paille, lui et son commerce bien tenu », ce barbeau ». Tony comprit que c’était le moment. Saisit l’opportunité d’entreprendre le reporter sur le sujet de cette tronche de fion d’aubergiste de droite un poil sourdingue à cause d’un tir d’artillerie qui lui avait rasé les moustaches le jour d’une grande peignée en Afrique du nord. (Un tir manqué venu de l’arrière, alors qu’il essayait de raccorder la gégène aux testicules d’un harki croyant connecté le cerveau d’un fellaga au réseau électrique EDF™). Ce cave, cette tronche de gland, et con comme une cage d’escalier vide... Une entrée en matière comme une autre pour amorcer la conversation comme le plan l’avait anticipé.

« T’as pigé ?... Tony s’était adressé à Antoine sous l’effet d’un demi-litre de whisky absorbé en moins d’une heure, et dans la méthode de l’Actor’s studio qu’il avait répétée pour réussir à exécuter son rôle d’ivrogne à la perfection.
-Kane... T’as pas encore pigé ! Kane... c’est un nom bidon.
-Vraiment ! Antoine vira juste un œil sur sa droite pour inspecter l’air franchement imbibé du pilier de comptoir assis à côté de lui.
-Bein puisque je vous le dis ! » Tony s’était d’abord ravisé sur le procédé d’un tutoiement spontané qu’il jugeât plutôt inadéquat dans le contexte. « Kane... poursuivit Tony. C’est pas son nom, c’est juste le truc marqué sur l’enseigne... la raison social de la distillerie, quoi ; une marque™ pour qu’on se rappelle le nom du tripot quand on a la bouche sèche... »

Le maçon proposa de commander lui-même une bière de printemps qui faisait la réputation de la maison ; une Märzen™ (une bière allemande brassée au début de l’hiver et un peu difficile à caser passé le mois de juin).

« Kane, putain !... Tire une Märzen à mon pote ! Tony hurlait à moitié.
-Laissez, objecta le reporter. Je vais me débrouiller. Et puis je vais plutôt prendre une Kriek. »
Antoine était resté tout à fait calme, malgré les vociférations de ce type un peu curieux dans sa façon de boire, oui, cocasse de lever le coude en forçant certainement sa vraie nature pour se faire remarquer. Il alluma une nouvelle cigarette, inhala plusieurs bouffées d’un seul coup.
-Une Kriek ?!... Là, tu me déçois mon gars. Aussi vrai que je te vois, là, assis à côté de moi avec ton costard de camouflage et toute ta bijouterie professionnelle accrochée autour du cou. Une bibine au sucre... et pourquoi pas une Chartreuse, ou tiens ! un petit Genépi ?!... Hé, Bob... (Tony appelait souvent le patron « Bob » au lieu de Kane...) Mon pote voudrait que tu lui serves une de tes tisanes de pisseuse... Une bécasse...
-Bon, ça va maintenant Tony. Tu commences à faire chier, là. Kane flipait comme un malade à l’idée que n’importe quoi pouvait partir en vrille à chaque instant. Tony reprit au point où il en était resté :
-Gene Krantz... est-ce que vous connaissez ce Gene Krantz ? Un de ces types qui bossent pour la piste aux étoiles à Cap Canaveral... Ce grand cirque en Floride où l’Amérique s’envoie en l’air pour faire la nique aux ruskofs empêtrés dans leur résidence surveillée de Baïkonour au Kasakhstan... Bref ! tout le bataclan de cette sale pourriture de Nixon, cette bleusaille de la maçonnerie anglo-saxonne qui envoie des acrobates en combinaisons spatiales casser des cailloux sur la lune devant des caméras de télé. Gene Krantz... Le héro d’Apollo XIII... le mec qu’à réussi à sauver l’équipage de la mission le 13 avril dernier... après l’explosion du réservoir d’oxygène et alors que les gars s’apprêtaient à faire leur numéro sur la lune, le troisième en neuf mois. Ouais, et je sais pas si vous êtes superstitieux, mais bon, passons sur les chiffres... Le type était déjà le chef du vol historique numéro onze... Un bon cathodique... (sa langue avait fourché, alors qu’il voulait dire : un bon catholique) père de six enfants. J’ai tout vérifié dans les journaux ! Et bien je vais te raconter un truc, mon gars, aussi vrai que je m’appelle Chaumont, un putain de nom de ville paumée dans le département de la Haute-Marne, disons à mi chemin entre Châteauvillain et Bourdons-sur-Rognon ; en gros, sur la route de langres en venant de St Dizier, mais sans s’arrêter. Ouais, faut que t’entendes ça mon pote ! L’histoire se passe au mois de juillet l’année dernière. Ça fait pile un an aujourd’hui. Neil Amstrong, Aldrin... Tu te souviens de ces gars-là ?... Antoine tourna franchement la tête vers son voisin de bar, prolongeant son attitude un peu récalcitrante à son égard. Tu ne te souviens pas ? Je veux dire : vous n’avez même pas une petite idée ? Putain c’est quand même dingue ! Mais tout le monde... se souvient de ce truc incroyable ! Un américain sur la lune. La lune mon pote ! Putain de merde... On peut quand même pas oublier un truc pareil ! À moins que tu fasses partie des millions de cons qui n’ont toujours pas acheté de télé, et alors même ! t’aurais au moins dû entendre le son des conversations à la radio... Je sais pas moi ?! Un petit pas pour l’homme... Hé Bob... sers voir la suite bordel ! Bon, du coup j’ai perdu le fil... oui, voilà !... ce Gene... (je me souviens facilement de son nom parce que c’est le même que celui du prénom de la quille à Johnny Weissmuller dans Tarzan... le rôle de Jane Parker jouée par Maureen O'Sullivan en 1932). Excusez-moi, je m’éloigne un peu ; je vous parlais de ce Gene... un vétéran de l’Air force et de la Mc Donnell Aircraft. Le gars qui dirige tout le bastringue depuis la mission Gemini 4 en soixante-cinq. Et bien ce jour-là, à 20H17 UTC(X)... J’y arrive... ce con a failli tout faire capoter. C’est ça... À quelques mètres de l’objectif, à la date du 20 juillet 1969 vers 21H30 heure française, le ponte du centre Kennedy est sur le point de prend la décision de tout arrêter en plein direct télévisé à cause d’un ordinateur de bord qui chauffe un peu, et parce qu’il craint pour la vie de ses deux p’tits gars embarqués dans l’affaire la plus importante, la plus utile de l’histoire politique américaine et de celle du monde occidental depuis les expéditions de Vasco de Gama, de Colomb ou celles de Fernand de Magellan. Une vraie fiotte ! C’est en tout cas la version officielle rapportée par les journaux concernant cette péripétie du premier atterrissage sur la lune d’une capsule habitée. Un petit chefaillon tremblant de sueurs au moment d’accoucher, tu vois un peu le boulot ! La même jeune vierge effarouchée qui aurait donc permis à Lowel, Haise et Swigert de revenir sur terre sains et saufs il y a trois mois grâce à « son sang-froid exceptionnel, son sens affûté du commandement » et je ne sais quelles conneries qu’on raconte encore sur lui ; juste la même personne ! C’est à rien n’y comprendre mon pote ?! Mais je parle, je parle... et j’oublie ce qu’il y a de plus important. L’histoire du nom de baptême du troisième vol habité vers la lune... (j’ai tout gratté jusqu’à l’os, je te dis...) Le nom du vaisseau de commande d’Apollo XIII, le CSM... Odyssée... ça te dit rien non plus ? Odyssée... le nom de l’engin spatial, dans le film de Kubrick ! Ces cons ont poussé le bouchon jusqu’à appeler le vaisseau principal exactement comme dans celui du film... Ouais, et ben je vais t’dire : Ça m’a tout de suite fait penser à l’ordinateur qui était tombé en panne au pire moment de la mission Apollo XI... Tout comme Carl, le cerveau artificiel de L’odyssée de l’espace qui s’prend un sérieux coup de chaud aussi pendant son voyage vers Jupiter. C’est Dave... David Bowman qui arrive à débrancher la machine (Hal 9000 dans la version originale) pour reprendre les commandes juste à temps. La scène est magnifique. Dave... répète avec lassitude le calculateur central pendant que le type dans sa combinaison d’astronaute orange est en train de lui déconnecter le cerveau. Dave, Arrête Dave... Une voix comme anéantie. Pendant de très longues minutes, on entend juste la respiration de David Bowman dans son casque. T’as pas vu le film non plus ! Le singe qui lance un tibia dans le ciel au début... le truc noir, la pierre de vie qui te déchire les tympans sur le prélude d’Ainsi parlait Zarathoustra, le poème symphonique de Richard Strauss... Mais alors t’as rien vu ? Tu sais rien, t’as rien vu et t’as rien entendu non plus !... Un putain de scénario j’te dis... Et attends, c’est pas fini ! Le nom du LM qui a permis a Apollo XIII de rentrer en utilisant la force gravitationnelle de la lune comme accélérateur naturel, Aquarius... Aquarius ça veut dire Verseau en français, le signe du Zodiac... Faut que je te fasse un dessin ? Tu t’intéresses pas non plus à l’astrologie ?!... Bon, alors vas-y, qu’est-ce que tu penses de tout ça mon pote. Ça t’en bouche un coin, non ?! Arthur Clarke, Asimov, Lovecraft et George Orwell réunis n’auraient pas fait mieux. C’est ce que je dis, moi... Hé Bob, ramène un peu ta gueule ici qu’on cause un peu vrai avec le monsieur. Fais donc péter le diesel... »

-X- UTC pour Temps Universel Codé... le mode de calcul de référence adopté par une majorité des pays pour définir l’heure civile de manière précise. Le 1er janvier 1970 à 00:00:00, naîtrait aussi le Temps Unix, plus généralement appelé l’époque POSIX. Une méthode de comptabilité du temps écoulé destinée à s’adapter à l’ère numérique de l’information.


(À SUIVRE)