dimanche 1 février 2009

LE COUP DE CHAUD / I



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-1-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.



Les héros populaires de demain ne seront ni tragiques, ni grandioses. Ils auront été prudents, avisés, habiles au compromis et soucieux d’éviter les affrontements inutiles.
Luc Rosenzweig



AVANT-PROPOS

Un milliard et demi d’années après le big-bang, la vie est apparue sur terre — un peu chaude en ce temps-là — sous la forme d’un individu primitif, indépendant, immortel et asexué. Un être archaïque, dépourvu d’intelligence et totalement aliéné à son programme de survie dans le grand bouillon originel. Une étrange et infime créature aquatique unicellulaire et auto reproductrice, notre ancêtre… Vouée sans le savoir à l’élaboration des conditions de vie du règne moderne des vivants. Tout ça pour en arriver là !


CHEZ PUM... DISONS, UN SOIR VERS MINUIT. ELLE, PLUS BELLE QUE JAMAIS. LE TYPE AVAIT PEUT-ÊTRE UN PEU BU. IL N'AVAIT RIEN OSER LUI DIRE, PAS MÊME SUR LE MODE IMPARFAIT. TONY™... S'ÉTAIT PROMIS DE GARDER LE CAP D'UN ROMAN À CORRIGER. UNE "LETTRE" POUR ESSAYER DE TOUT LUI EXPLIQUER. POUR TOUT DIRE, J'AVAIS DÉJÀ JURÉ DE NE PLUS JAMAIS LUI PARLER DE GODARD. AUSSI, PENSAIS-JE DE PLUS EN PLUS À LUI CAUSER UN JOUR DE FLAUBERT. Il voyagea. Écrit Flaubert dans L'éducation sentimentale. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l'étourdissement des paysages et des ruines, l'amertume des sympathies interrompues. (La dernière rencontre avec Madame Arnoux).



CHAPITRE 1
L’ELLIPSOÏDE DE CLARKE


Le projet de Jules consiste à rejoindre la courbe de niveau, mesurée d’après des relevés photogrammétriques révisés en 1993 et disponibles à titre onéreux auprès du Service de la Documentation Nationale du Cadastre, À trouver cette foutue courbe de niveau surlignée en rouge sur sa carte au 25000e et qui ne ressemblait à rien de convaincant, confronté à la véritable nature du relief. Jules doit se rendre sur le terrain afin d’y mettre un prix, un tarif fiscal. Une estimation précise de sa valeur foncière… Jules, ne pensa pas tout de suite aux dispositions du décret 94-1112 du 19 décembre 1994, qui prévoyait l’obligation pour les communes de plus de 2000 habitants, de communiquer au CDIF tous les changements affectant la dénomination des voies et leur numérotage. Le fonctionnaire ne pensa pas plus à l’effet Barnum et tout le cirque qui l’accompagnait à la télé depuis les années quatre-vingt. Il ne pensa pas plus au paradoxe de Condorcet qui foutait un peu le bordel dans les sondages d’opinions, et puis les siennes pour commencer. (Jules avait lu la formule quelque part, mais n’avait pas réussi à tout déchiffrer du premier coup !) Du même coup, le salarié titulaire du corps d’état avait abandonné la probabilité qu’il aurait un jour de gagner au loto alors qu’il ne pensait jamais à y jouer (7.10-8 s’il avait fait l’effort d’essayer au moins une fois juste pour voir ! soit : 1 chance sur 14 millions d’obtenir une grille de 6 numéros). La chance, tout de même un peu plus vraisemblable qu’il aurait d’emporter le gros lot, multipliable par le nombre infini de conards qui arrêteraient de foutre leur pognon chaque semaine dans ces jeu à la con ! Le salarié de la fonction publique pensa plutôt aux effets de la rémanence rétinienne sur le cerveau humain (Jules y pensait souvent !) à ce qu’il croyait quelquefois qui s’était déjà produit et qui se reproduisait à nouveau ; à cette belle illusion de posséder plusieurs vies et l’hypothèse de pouvoir corriger ses erreurs dans celle d’après (à la douce prémonition d’en avoir plusieurs comme les chats, et l’idée le rassurait un petit peu). Aux particules élémentaires… à la radioactivité naturelle que son corps produisait en permanence, aux 10 000 becquerels (10 000 désintégrations atomiques par seconde) qu’on se prenait dans la gueule sans le savoir depuis la naissance, et ça ne l’empêchait pas de râler contre les centrales nucléaires et leurs saloperies de déchets radioactifs. Au carbone-14 qui mesurait comme le temps passe (parce que le temps passe toujours ! et comme disait toujours le père de Jules, « Après la pluie… ») Aux rayonnements gamma un peu fort sur le sommet des montagnes, mais Jules n’aimait pas forcément la montagne, surtout les plus hautes, et il avait sûrement ses raisons ! À toute la terre baignée dans son flux de radiations naturelles ; aux particules de très haute énergie qui nous tombaient dessus chaque seconde ; aux neutrinos (des particules de masse nulle et sans charge électrique) qui nous transperçaient en permanence et tout l’univers avec ! (Jules trouvait ça nul, magnifique !…)


TOUJOURS CHEZ PUM...


Oui, Jules pensa tout à coup aux rayons cosmiques qu’on se prenaient chaque seconde sur la tête à un rythme effrayant, et ça ressemblait à un immense feu d’artifice au ralenti. Jules pensa aux feux d’artifices au ralenti dans les films, aux premiers films en technicolor ; aux milliers de couleurs qui exposaient la pellicule, comme la peinture explosait en mille nuances au crépuscule ! Jules pensa aux champignons nucléaires… à tous ces trucs reliés entre eux sans être vraiment au courant… À tous ces trucs surprenants qui nous tombaient du ciel et que certains prenaient pour Dieu. Jules pensa à la couleur, aux belles couleurs du monde qui nous entoure (et il ne se souvenait pas y avoir autant pensé avant !) Il pensa à la couleur du ciel, de la terre et de la mer aussi… un bleu outremer pour commencer ! aux 14400 tonalités chromatiques du catalogue d’Eugène Chevreul, au 100 000 nuances que l’œil était capable de distinguer, aux centaines de millions de couleurs qui s’affichaient sur nos écrans d’ordinateurs alors qu’on ne pouvait pas en distinguer plus de 100 000… des couleurs qui ne servaient à rien, mais c’était quand même assez joli et on ne pouvait plus s’en passer ! Jules pensa aux manuels d’enluminure du moyen âge qui en comptaient bien moins. Un minimum. Il pensa au minium, au rouge cinabre dans l’art pictural florentin, celui de Pise et à Venise aussi, et c’était quand même assez beau… À l’indigo oriental (celui de Baghdad), à l’orpiment, aux vessies de blanc de plomb et de jaune de nappes (des vessies qu’on trouvait chez Mme Haro). Jules pensa encore aux vieux marchands de couleurs disparus, au commerce de la teinture, à la guerre des colorants ; à l’antique vertu de la pourpre, aux couleurs artificielles qui la remplaçaient aujourd’hui et c’était tellement dommage ! À la lumière visible, à l’invisible… à l’abstraction de la couleur dans la nature, à la couleur du monde et à toutes ses apparences tragiques… aux longueurs d’ondes, à l’énergie électromagnétique... Aux instruments qu’on ne cessait d’inventer pour mesurer les couleurs fondamentales et le gris aussi ! à la constance du gris de nos villes, à la dominante du gris dans la vie moderne, sa tonalité grisâtre, l’absence de couleurs du monde moderne, ou le peu qu’il en resterait dés qu’un régime politique essayerait de s’en charger. Jules pensa au mélange arbitraire des couleurs primaires dans l’industrie du marketing occidental et à la télévision surtout !… au grand blanchiment, au grand lessivage des idées pour commencer... et du noir pour continuer ! au noir idéal… du noir de carbone pour tout absorber. Un noir idéal !… Jules Chaumont pensa à ces choses-là et à d’autres auxquelles il avait décidé d’y réfléchir plus tard, parce qu’il aurait un peu chaud et qu’il devait d’abord faire attention où il mettait les pieds dans ce vert criard qui l’inondait sous les hêtres de la forêt détrempée… Il n’y pensa pas sur le champ, mais jugea fort probable qu’il le fasse une fois sorti de ce bourbier et complètement décrassé.

Pour tout vous dire, Jules se tritura encore l’esprit à propos de la pollution aux gaz à effet de serre, au réchauffement de la planète, au protocole de Kyoto dont il avait entendu parler à la télé ; aux américains et aux russes qui n’avaient rien voulu savoir pour signer. Au sommet de la terre, à Rio... Un sommet au raz des plages bondées de touristes allemands… bondées de putes, de patrouilles de flics et de petits voyous qui ne valaient pas beaucoup mieux. Rio, ses belles plages tropicales, son climat chaud et humide difficilement supportable en été. Rio, ses filles refaites et ses touristes aussi !… bourrées au silicone, piquées à mille deux cent euros les trois passes de Botox. Rio, ses plages un peu chaudes, bon, passons. Jules pensa aux nombreuses réunions politiques internationales sur la dégradation du climat, ces belles paroles prononcées à Rio et à Johannesburg ensuite. Jules y pensa, comme il pensait toujours à beaucoup de choses ; il y pensa comme tout le monde qui regardait le journal à la télé, mais seulement parce qu’il avait un peu chaud ce jour-là ! il y pensa comme tout le monde y pensait chaque jour un peu plus depuis le début de l’été 2003…

Jules essuya la transpiration qui perlait à grosses gouttes sur son front mêlé de pluie, s’épongea encore une fois, mais ça n’y changeait rien !

Le fonctionnaire mit un certain temps pour matérialiser la dite courbe de niveau sur le terrain. Repensa d’emblée à l’effet Koulechov. À l’invention « du montage au cinéma » au « collages » politiques de Godard, à tout ce qu’on pouvait coller l’un à côté de l’autre sans le moindre souci du bordel que ça posait dans les esprits simples de la majorité consentante. Le cadre supérieur s’enfonça plus loin à l’intérieur du bois de Palluau, spécula sur plusieurs directions qu’il pourrait encore prendre pour se sortir de ce merdier, mais qui se ressemblaient toutes ; revint finalement sur ses pas, fit plusieurs va et viens pour retrouver sa trace, mais la pluie avait déjà tout effacé.


(À SUIVRE)



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