mardi 8 janvier 2008

JEAN-CLAUDE BOURGEOIS /I



BOURGEOIS "DE LA COMTÉ" / I


"LES AMATEURS"

J’avais d’abord pensé lui écrire. Voilà ! Une belle lettre à l’encre, une prose à l’ancienne, un mot gratté à la plume sergent-major. La lettre commençait comme ça : Monsieur, je dois vous dire d’emblée que je ne connais que peu de choses de votre terre, de cette glèbe si tourmentée depuis laquelle vous écrivez au passé. Ces jours de pluie qui « enfoncent » la couleur du ciel, ceux de cette bise ignoble qui creuse le caractère des gens de vos tableaux, ces traits noirs, ses saillies, des raies en plein coeur de la couleur flamboyante de vos aquarelles. Non, je ne suis pas d’ici, ni d’aucune campagne de quelques « pays » de naissance que ce soit... Par principe et préjugé sûrement, je n’ai guère d’égard pour ces vernes fumantes et l’odeur du foin. Et c’est bel et bien depuis mon île de béton armé, de mes escaliers en verre et de mon atelier numérique... que je découvre l’horizon tragique de votre conservatoire naturel. Je relisais Rousseau, oui, je me souviens que ce jour-là, précis, ou je vous ai rencontré la première fois, je relisais l’histoire de la jeune et « nouvelle Héloïse » de ce cher Rousseau. Et vous comprendrez tout de suite l’intérêt qu’il me fut prêté quant à la découverte de votre facture, l’élaboration de votre alchimie, le choix de vos thèmes de prédilection qui correspondaient parfaitement au sens de mes transports littéraires d’alors.


La dance des paysans 1568 - La moisson 1565 / PIETER BRUEGEL

Auriez-vous invité Monsieur Millet, Bruegel ou n’importe qu’elle star de la grande école flamande, que je n’aurai eu de cesse de vous questionner vous et personne d’autre à propos du temps dont nous parlions à l’instant et dont il me semble que vous méritez en retour de votre travail considérable sur le sujet, toute la pertinence d’un succès éternel.
J'avais d'abord pensé lui écrire, vous disais-je, mais je n'en ai rien fait.

Les glaneuses 1857 / MILLET

Jean-Claude Bourgeois et Edward Hopper...

Je ne sais plus où j'avais lu cette définition à propos du travail de Jean-Claude Bourgeois. "Sa peinture figurative". C'est ça ! Bourgeois... "de la comté"... un figuratif ! Je dis "figuratif" avec des guillemets parce que figurez-vous qu'aujourd'hui tout le monde se fout complètement de cette forme de peinture classée sous cette étiquette d'un art juste "utile" à la décoration intérieure. Et quand je parle de tout le monde, j’essaye de ranger ce monde-là à sa place, à la place qu’il occupe à une certaine place justement. Une place... le genre de place déjà prise par tous ceux qui l’avaient déjà prise avant et dont l’occupation principale consiste justement en cette tentative quotidienne et dérisoire d’essayer de la garder comme elle leur a été transmise, pour ne rien perdre des honneurs et des privilèges livrés avec.

Cape cod afternoon / EDWARD HOPPER

Un figuratif... comme... Edward Hopper. Hopper, oui... L'immense Hopper. Et vous vous demander d’emblée ce qu’un type comme lui vient côtoyer de si près la peinture de ce monsieur Bourgeois ? Ce Hopper-là de New-York-Etats-Unis-d’Amérique et de tout ce que ça implique d’immense, de colossal dans la lumière des rubriques artistiques de la grande presse mondiale. Hopper, l'inventeur, le précurseur de la peinture de reportage. Un peintre réaliste, un des artistes les plus importants du XXe siècle. Je vous parle de Hopper parce que je dois vous dire que plus j’observe la peinture de ce monsieur Bourgeois, et plus je lui trouve de similitudes, d’analogies avec un des artistes « stars » les plus convaincants de la peinture moderne, un type influencé par Vermeer, Goya, Rembrandt ou Manet. Hopper, qui disait préférer Daumier, Courbet... Degas surtout, plutôt qu’un certain « cubisme » qui défrayait la chronique parisienne alors que l’artiste, l’auteur de The House by the Railroad celui de Nighthawks fut quelques temps à fréquenter les ateliers de la Seine pour apprendre à parler comme Verlaine ; le Montparnasse de Chagall ou Picasso, un tas d’étrangers en France, des travailleurs artistes immigrés et finalement chefs de file du grand art, de la grande culture française.


BOURGEOIS "DE LA COMTÉ" (PREMIER ÉPISODE)


BOURGEOIS "DE LA COMTÉ" (ÉPISODE I) / NÉON™ 2007

C'était juste avant «ceux» de l'école de Paris, celle des années quarante et cinquante surtout. La peinture non figurative. Bazaine, Berthole, Le Moal. (Tout le monde a oublié sûrement...) Juste avant la libération et l’explosion quelques mois plus tard de cette corporation un tantinet triste de «l’ère Malraux» comme on dit aujourd’hui. (Jessaye de vous resituer Jean-Claude Bourgeois dans son contexte de ses débuts, dans la culture de ce temps-là, du temps de ses vingt ans) Juste avant les «matiéristes» comme Dubuffet, la peinture de traces de Pierre Soulages. Juste avant l’explosion, la bombe atomique, le buzz mondial du pop art... la scène américaine des années soixante qui finirait par avaler la terre entière de sa matière plastique insolente et géniale, une véritable OPA américaine sur les postures récalcitrante d’une Europe déjà repliée sur elle-même. Warhol... bien sûr ! Rauschenberg surtout. L’incontestable et inégalable Rauschenberg. Je vous dis tout ça parce que ce Monsieur Bourgeois... ces terres contrastées, tranchées de cette Comté qui lui ressemble tellement. Sa matière rurale imprescriptible, cette sorte de reconstruction-recomposition du souvenir, d’un souvenir d’une vie ou d’une idée de la vie plantée dans quelques romans de Giono... comment dire ?! Un Giono peintre et silencieux, éternel, planté au milieu des cris, des hurlements, du vacarme clinquant des galeries à la mode des années soixante... Oui ! Car c’est bien de ce Giono comme d'un Balzac qu’il faudrait aussi parler pour percer les détails de l’œuvre "naturellement", "paysanne" de Monsieur Bourgeois, sous la fournaise d'une somme de flous méticuleux et colorés à l’extrême. Et voyez maintenant comment je ne peux déjà plus m'empêcher de coller ce "Monsieur" devant l’artisan, l’artiste dont j'essaye de comprendre le sentiment de grandeur dans une oeuvre bien plus riche qu'il n'y paraîtrait vue d'une cimaise moderniste trop commode. Un Monsieur, oui. Un Monsieur par la place qu'il occupe dans pas mal de coeurs de ses amis, ses "amateurs" de peinture comme il aime à parler d’eux. Un Monsieur pour ce qu'il restera d'une oeuvre aboutie, sereine et bonne à l'âme comme il ne m'est pas arrivé d'en voir de si sensibles sur ce sujet des toits enneigés ou des fermes comtoises pris dans le soleil rasant d'un Jura trop facile pour les yeux.


La chasse au loup / ©JC BOURGEOIS

Cet homme-là, cet « enfant » comme j’ai cru le voir au fond de ses yeux, peint le temps comme il lui vient, comme il le voit avec ses yeux, oui... d’enfant. Son temps préféré, son temps à lui. Où je dois vous dire... que ce Hopper dont nous parlions, lui aussi peignait le temps de ses rêves, le temps de toutes ses chimères. Hopper peignait le temps de son temps pendant que notre bonhomme de cette sacrée Comté raflait tout le mauvais temps. Celui qu’on voudrait voir passer, celui qu’on voudrait si facilement remplacer dans le cœur des gens. Oui, j'y vais du «Monsieur» comme on donnerait du "maître" lorsqu'on s'incline devant un aspect du génie de son temps même quand il parle d’un autre temps, de ce temps perdu... de celui qu’il a fait hier et dont on ne souvient plus vraiment. Mais voilà. Jean-Claude n'aimerait pas. cet homme-là ne préférerait pas que l'on parle de lui sur ce ton là. Lui, "Monsieur Bourgeois" quand même... et qu'il me pardonne ici mon excès, mon trop plein de guillemets. Ce Monsieur de la grande peinture des gens simples, leur monde perdu qu’il tente de rattraper pour eux par amour sûrement.

Ensuite on a parlé un peu des loups. C’est-à-dire que notre homme, lorsqu’il parle du loup... on le voit lui, ses yeux tout arrangés de la couleur des contes, et ses paupières vibrer au rythme de son enfance. Un loup... qui déboule droit devant nous en plein milieu d'une toile. Un loup... et tout ce qu’on peut dire de lui d’étonnant avec la bouche d’un gamin.
Néon™

LA SUITE BIENTÔT SUR NÉON™

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