lundi 2 mars 2009

LE COUP DE CHAUD / VII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-7-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 5
LE SYNDROME DE MILTON
(SUITE)

Hélène... Pardon ! Madeleine s’était rabattue sur un professeur de piano un peu ruineux, mais plutôt disponible et bien mis de sa personne. Un excellent pédagogue et qui raffolerait des capacités d’apprentissage exemplaire de son fils prodigue. Un ancien concertiste. Un virtuose de la structure harmonique, de l’air transporté par petites touches discrètes ; un doigté exemplaire. Un fidèle compagnon de l’après-midi... Quelque chose d’un peu ridicule aussi dans sa manière d’honorer sa charge à l’heure du thé. Antoine pour sa part, ne tarderait pas à préférer les yéyés le twist, le rock’n roll et les balbutiements de la matière électronique synthétique. Tout s’accélérait autour de B. Les premières précipitations hertziennes sur le Schneider tout neuf. Un meuble difficile à placer entre les moulures dorées du buffet Louis XVI (un Riesener certifié), et une table bouillotte à galerie ajourée.

Au lieu du beau Beichtein patiné et des suites de Bach un peu emmerdantes pour aller avec… Madeleine s’était finalement laissée convaincre par l’achat d’une guitare électrique amplifiée. Lassé, le professeur de musique préféra ne plus devoir en supporter d’avantage et se contenta de prodiguer ses dernières politesses à Madame B.

Moyennant quoi, c’est bel et bien entre les murs en bois vernis imitation cabane de bivouac et manches de piolets forgés à l’ancienne de la prestigieuse institution nationale alpine tendance knickers et bas côtelés... que le jeune Antoine Beauregard — comme l’avait orthographié sa mère sur le registre des inscriptions officielles au club alpin — put se bâtir cette destinée toute particulière d’amateur d’abîmes de toutes sortes pour commencer, et d’explorateur en général pour continuer. Oui, la montagne, les parois glacées... À l’apprentissage du ski pour lequel Madeleine avait inscrit son rejeton sur les conseils d’un ami architecte tout à fait séduisant, Antoine entrevit rapidement une possibilité d’associer les prémices d’une véritable fascination pour les régions hautes et hostiles de la terre. Plutôt réfractaire à quelque matière scolaire, Plus rien désormais ne saurait enrayer la destinée du virtuose, et Madeleine s’était dit qu’il ne pouvait rien arriver de pire à un danseur étoile ?!...


Les curieux événements qui se précipiteront dès lors, feront l’objet des pages les plus abscondes d’un traité des formes appliquées à la géographie sociale, dont Vanessa (la jolie secrétaire intérimaire du rez-de-chaussée)... n’avait pas d’emblée réussi à déchiffrer l’infinité d’arguments.

Madeleine fit à peu près tout ce qu’elle put afin de dissuader Antoine d’une lubie éphémère, mais surtout bien trop dangereuse pour un garçon de sa si prestigieuse condition. Un talent qu’il aurait aisément pu utilisé à des fins plus... sérieuses (elle aurait voulu dire : plus sages, prudentes... plus esthétiques aussi !) Mais le garçon ne voulait rien savoir, usant y compris jusqu’à l’apparence de sa forme physique impeccable, pour convaincre sa mère de son choix crucial et définitif de devenir... alpiniste.

Hélène prit son élan du haut d’un de ses pics affreusement aiguisés. Tenta de faire promettre à son enfant chéri, son petit ange, la chair de sa chair, son petit B.B... de n’en rien faire, au moins préalablement à ce qu’elle ne disparaisse elle-même, qu’on l’enterre en bonne et due forme, que tout le monde l’oublie une fois pour toutes, et qu’on y revienne plus.
Pendant plusieurs jours, Madeleine dut encore renforcer sa prescription de comprimés pour réussir à dormir quelques heures. Des cauchemars horribles. L’obsession angoissante, sinistre... d’un fils pendu à quelque lèvre d’une crevasse béante des Alpes du Nord, un enfant mort de froid, asphyxié par le gel et le blizzard des parois titanesques sur le versant italien du Mont-Blanc ou Antoine racontait qu’il aimait voir se dissiper les longs fils d’ambres sur l’horizon percuté d’étoiles bleues. Un vrai malheur...

Entre deux chapitres d’une édition de l’œuvre de Proust à tirage limitée, et un verre de Bushmill pour l’aider à digérer, B. intercala progressivement tout ce qui s’était fait d’essentiel dans la littérature alpine durant les deux siècles passés ; d’essentiel et d’anecdotique surtout !... des pages d’écriture assez monotones, un tas d’essais laborieux pour tenter de raconter sa vie sur un plan vertical, de monter en épingle une vie héroïque et qui ne valait pas mieux… Après la lecture de l’obscur recueil montagnard en quatre volumes d’Horace Bénédicte de Saussure et de quelques textes romantiques assez crétins à propos des gens demeurés dans l’Alpe d’autrefois (les montagnards et leur cortège pittoresque…) Madeleine se prit d’un mouvement d’espoir en découvrant le voyage du rédacteur des Mémoires d’outre-tombe. Un auteur, en apparence peu enclin au spectacle des chimères au-dessus du Montenvers. Ainsi, écrivait le monument de la littérature romantique à la fin d’une randonnée exténuante sur les formidables hauteurs du Faucigny (Madeleine avait appris le passage par cœur pour réussir à le répéter à Antoine), cette grandeur des montagnes, dont on fait tant de bruit, n’est réelle que par la fatigue qu’elle vous donne. (…) Ceux qui ont aperçu des diamants, des topazes, des émeraudes dans les glaciers, sont plus heureux que moi ; mon imagination n’a jamais pu découvrir ces trésors. (…) » (Toute sa vie, Antoine détestât Chateaubriand.) Madeleine... s’était refoutue à boire avec premier de cordée, un modèle tragique dans le genre « ascensionnistique » et ses effets drastiques sur les pesanteurs déjà insupportables des rayons de montagne. Sa bibliothécaire (une vendeuse de livres et diseuse de bonne aventure aussi ; lui avait conseillé « Les conquérants de l’inutile(X)qui venait d’être publié chez Gallimard ».

-X- Le texte principal de Lionel Terray © 1961 Éditions Gallimard, ajouté d’illustrations, ressortiraient en 1995 sous la célèbre couverture rouge des belles éditions Guérin, (460 pages – 450 photos) gravé et composé par l’atelier Esope à Chamonix, imprimé en Italie par Puntografico, Brescia. Quant à Michel Guérin, par qui la couleur était arrivée sans que Madeleine ne puisse jamais en profiter, une crise cardiaque l’emporterait à Chamonix dans la nuit du 24 octobre 2008. Le jour exact de mon anniversaire.

Le beau livre d’aventures commençait par l’impression d’une dédicace en italique en plein milieu d’une page blanche : A mes camarades de cordée, morts en montagne. À la moitié du premier chapitre, Madeleine s’était précipitée au débit de tabac le plus proche pour s’acheter un paquet de gauloises sans filtre. 19 mégots plus tard, elle marqua une pause désemparée à la page 365. Lionel Terray « Le conquérant de l’inutile » embarqué pour l’Annapurna avec Herzog, Lachenal, Rebuffat et les autres de l’expédition Premier 8000, quitte le camp II espérant rejoindre le camp III. Surpris par la tempête, la cordée est contrainte de bivouaquer sous un sérac menaçant, à même une vertigineuse pente de glace suspendue dans le vide.

Nous passons une nuit épouvantable. Terrorisés par les avalanches qui, déferlant à tous moments dans le couloir central, passent à moins de 15 mètres de notre tente en la secouant violemment de leur souffle, mes deux sherpas ne ferment pas l’œil de la nuit et fument cigarettes sur cigarettes. Quant à moi, fiévreux sans doute, je souffre de l’absence de ma veste de duvet ! Abruti par les somnifères, je finis tout de même par m’endormir...

Sans s’en apercevoir, Madeleine s’était enfilé les deux tiers de la bouteille de single malt irlandais entre l’arête nord du Chardonnet de la page 30 et l’installation du camp de base sous le géant himalayen. « Acheter une veste en duvet !... » se répétait-elle en titubant à la verticale de la couverture rouge du récit historique. La bouche sèche, Hélène finit tout de même par s’endormir sur le fauteuil à médaillon Louis XVI, une dernière cigarette pendante au bord des lèvres. Une nuit terrible.

Peu de temps après cet événement, Le médecin de famille serait appelé au chevet de B. pour trouver un remède contre ses fièvres persistantes et sa bouche constamment desséchée. Le thérapeute conclut à un possible début de schizophrénie, mais voulut encore confirmer son diagnostic auprès d’un collègue spécialiste. Le psychothérapeute désigna la maladie de la jeune femme comme un trouble extrêmement rare surnommé le syndrome de Milton. Certes ! personne ne mourait de cette rupture mentale originale, mais la maladie pouvait causer à terme, des séquelles irréversibles sur le comportement général des patients. Aux doses quotidiennes d’anxiolytiques, Madeleine dut rajouter une quantité non négligeable de neuroleptiques.

B. reprit la rédaction de son journal, se servit lentement un grand verre d’alcool glacé, se regarda couler au fond d’un psyché empire orné de bronze ciselé posé sur un bureau de ministre. Le décor était parfait. Orientable à souhait dans le sens d’une position confortable, d’une attitude, d’une posture qu’il convient de soutenir coûte que coûte, malgré l’évidente apparence de son image molle sourdit de l’occulte miroir. Un décor magnifique, des enjolivures tout empire... et ce n’était pas prêt de s’arranger !

Journal de B.
Ce jour triste d’une première noyade.

Hélène, sur elle sentit ces chairs de glace pantelantes. La sensation de son corps pétrifié dans la glissade infernale. Ils surgiront le précipice et l’abîme, écoeurés. Hélène sent la bête horrible l’absorber et ses lèvres bleues, translucides. L’animal me délaye, me dissémine... finit par me dissoudre entièrement. Hélène noyée en son propre cadavre... une irréversible coulée sous les séracs ; des gisants, une armada glaciaire… Je suis engloutie, je meurs engourdie, je chambre froide, Je tombe, je croix ; l’on m’enterre, agitée, excitée, encore brûlante de fièvre… et j’ai froid, tellement froid maintenant.

Madeleine avait toujours été sujette au vertige, aux variations climatiques un peu fortes, et aux problèmes d’alcool aussi.

Charles voyageait de plus en plus loin à l’étranger. Son usine éprouvait le premier round d’un match obstiné à vaincre par knock-out toutes les têtes qui pouvaient encore dépasser sur le terrain du grand marché économique et mondial en passe d’être entièrement libéralisé. L’homme d’affaire expérimentait aussi l’attrait aguichant d’une main d’œuvre asiatique toute fraîche qu’il prenait soin d’entretenir sur ses heures supplémentaires lors de déplacements qui n’en finissaient plus. Rose... la principale assistante de C. n’appréciait pas spécialement ses absences répétées, mais le nouveau directeur général de la toute nouvelle unité bonnetière troyenne passée leader sur son secteur d’activité était de ces commerçants de père en fils, et bon marin de surcroît ; sachant voir venir le vent qui annonce la tempête et qui détecte les variations climatiques dans le pli de l’œil de n’importe quel billet de change. Une certaine adresse pour se dépatouiller des climats de chiottes dans les rapports humains à partir de sa capacité de crédit, son pouvoir d’achat, ses mille bonnes manières de négocier sa tranquillité d’esprit sur les marchés à terme. Un type né pour cette tendance générale à la dérégulation des échanges de marchandises et consommables à volonté sur tous les continents en même temps. Charles... « Un américain » comme disait Rose. Son « petit américain »... Charles Conte adorait.

Des bénéfices déplorables pour Madeleine.
Après quelques temps, les troubles de B. finirent par poser de sérieux problème dans leur vie de couple et leurs rapports conjugaux. Au point qu’il eut fallu consentir à cette solution... dont « personne » ne souhaita jamais qu’elle eut à se présenter si soudainement comme la seule et dernière alternative de sauvetage. En bon marin encore... Charles eut donc à prendre toutes ses responsabilités.


(À SUIVRE)