jeudi 5 mars 2009

LE COUP DE CHAUD / VIII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-8-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 6
MORT AU PILIER DU FRENEY
(PREMIÈRE PARTIE)

Les journaux de télévision avaient fini par s’imposer au détriment des cinémas de quartier et de la grande presse d’opinion parisienne. Une considération qui n’intéressa jamais Madeleine. Antoine avait déjà vaincu quelques sommets alpins célèbres en amateur et mené à bien plusieurs ascensions hivernales. L’agréable cocon familial ne constituait déjà plus qu’un lointain souvenir qui l’aidait à supporter le froid glacial des faces nord lorsqu’il manquait de petite amie. Pour l’anecdote, le jeune alpiniste ne se séparait jamais de sa veste de duvet achetée par sa mère, ce dont Hélène était extrêmement fière. Elle était comme une deuxième peau, lui servait d’enveloppe sécurisante dans les éléments déchaînés.

Lorsqu’on avait dû placer(X) Madeleine ; Antoine était au pilier du Freney, au sommet de la gigantesque face italienne du Mont-blanc, occupé depuis deux jours à forcer la difficile chandelle terminale. La glace dans les fissures freinait la progression de la cordée, et l’issue de cette aventure tournait carrément au cauchemar.

-X- Mot relativement inquiétant inscrit au dictionnaire de la langue française, qui peut indifféremment désigner l’emplacement d’un pion embusqué pour contrarier son adversaire, voir encore de l’éliminer définitivement de la partie ! – La position d’un cheval de course au nom complètement farfelu, prêt à bondir sur la ligne d’arrivée pour le compte de son propriétaire bien habillé grâce à lui - La boule qui roule tranquillement sur la terre battue marseillaise ou Lyonnaise, dans l’effluve pittoresque qui les rassemble d’un parfum anisé, et qui s’arrête miraculeusement à presque rien du cochonnet sous les « putain, con !... » d’un public qui fréquente assez rarement les bonnes places des champs de course mais plutôt celles des PMU « enfumés » et les stades de foot « enculé ! » - Le ballon bien envoyé en pleine lucarne d’un gardien qui sent bien que la coupe du monde vient de lui passer sous le nez ; à lui ; ses collègues « infortunés » à cause de lui, mais qui en ont « quand même » gardé sous le pied au cas où il serait obligés un jour de remarcher dedans à force de perdre tous leurs matchs importants !… ) – Et par conséquent : les coups de pied dans les couilles qui se perdent sur tous les terrains de football de la terre, « putain, les cons !... » - Placé... dans le sens de savoir se placer, se mettre en avant, passer devant tout le monde (et pourquoi se faire chier ?)... comme le petit coup de piston nécessaire pour s’épargner les files d’attente à l’ANPE, les queues plus longues encore… pour décrocher un rendez-vous avec un éditeur sérieux ou trouver un emploi stable à la télévision…une sacré chiquenaude pour y devenir célèbre comme tout le monde – Placé... comme Le geste du père de famille qui pense à l’avenir de ses enfants plutôt qu’à dépenser tout son fric dans une multitude de conneries comme des postes de télévision grands formats aux quatre coins carrés, pour être bien sûr de ne pas rater les corners – Terme enfin... qui désigne la convenance polie du vocable propre à la même langue pour désigner l’acte sordide d’extraction d’une personne « dérangée » comme Madeleine (qui préférât toujours qu’on l’appelle Hélène), de la place qu’elle occupait sur le terrain du grand amour universel.

Quelque temps plus tôt, Antoine parla très précisément à sa mère de ce projet de chandelle au Mont-Blanc. C’était — expliquait-il — un tournant dans sa carrière d’alpiniste, le moment de vérité, l’axiome de sa raison d’être. Quelque chose de l’ordre d’une tentative à faire coexister le corps lourd et le poids du feu instable sur des parois affreuses. Un nouvel ordre des choses, oui... forgé à la matière du vide corrosif et de l’oxygène raréfié. L’idée d’une équation idéale entre la vie et la mort. Tout ce qu’on entendait par là d’une lueur étrange et molle qui gouvernait les profondeurs de la condition humaine à des altitudes tristes, et les faîtes, les pinacles... comme ligne d’horizon parfaite. L’absurdité de la vie sur terre rapportée à l’élégance de la prise de risque, du péril imminent... une mort permanente. Antoine expliquait son projet du pilier du Freney par le truchement d’une ascèse à laquelle il s’était astreint jour et nuit depuis des mois. Un entraînement de combat pour s’accoutumer aux incandescences de l’esprit par l’entremise d’un savant dosage de souffrances extrêmes et d’un plaisir sensuel aux confins des contingences physiques. Antoine parla encore du mercure comme un but ultime qu’il comptait bien atteindre un jour au lieu de sa propre conscience. Oui, un jour, Antoine saurait substituer le sang de sa race par l’exquis venin métallique argenté du cinabre. Du haut du ciel transpercé des fines citadelles de granit, Antoine sentirait alors ses veines se gonfler du précieux liquide étoilé, le métal ranimer ses entrailles, et son cerveau s’évaporer dans l’azur. Antoine avait encore rajouté que sa démarche n’avait rien à voir avec une attitude suicidaire romantique, mais qu’il fallait plutôt comprendre sa conduite comme l’expression d’une volonté imprescriptible à manœuvrer de telle sorte pour soi-même, qu’elle deviendrait l’intérêt de tous. Il lâcha un dernier « Vivre, maman... c’est combattre... Et c’est avant tout postuler soi-même au combat. héroïque... » avant de permettre à Madeleine de s’effondrer sur elle-même.

Alpiniste, soit !... un aventurier, Un trompe-la-mort... d’accord !... Mais fallait-il aussi qu’Antoine se jette dans cette aussi triste matière que la passion insensée, ridicule... pour ces élévations inertes et tout à fait dissimulées au regard du monde. Alpiniste... L’habit lui allait bien, certes ! (Antoine aimait à porter son attirail de cordages et de matériel en duralumin sur son torse nu, éphèbe... pour provoquer l’inquiétude de sa mère et en remontrer à son père. (Une sale habitude qu’ont les garçons à cet âge, d’exhiber l’instrument de leur belle vigueur à l’égard du sexe féminin en même temps qu’ils tentent d’écarter toute rivalité par cet effort de démonstration ; y compris venant d’un type comme C., son corps flasque et son ventre mou, ses petits yeux rentrés et sa bouche d’hypocrite. Un lâche ! Une démonstration puérile, et dans certains cas désespérés... parfaitement insurmontable par la suite.) Un bel habit... mais qui en profiterait alors, aux confins de ces pics affreux ? Madeleine et son petit Georges, son petit rat de la grande école du Bolchoï ou du palais Garnier... son petit Noureïev !... (la nouvelle étoile des ballets de Paris).

Hélène se contenta d’admirer une dernière fois son petit Antoine danser, sauter, soubressauter, tournoyer... Son petit mulot, son ange... son papillon. Puis il fallu procéder à ce troc infâme, de l’image d’une scène en bois précieux et dorée du salon bourgeois familial... pour ces planches funèbres, un parquet macabre. Le pandémonium du piédestal, arrangé en forme de pic effrayant, avaleur de rats de toutes sortes et qui ne rendait jamais rien, qu’une fois broyé, laminé... éviscéré.

Ce « pilier du Freney », ce morceau de caillou gelé lui remontait à la gorge comme le bourbon vomit par litres après la lecture d’un roman de Walter Bonatti. Une histoire atroce, une des plus grandes tragédies alpines qui emporta avec elle des jeunes gens en pleine force de l’âge. Il n’y avait pas de mot pour décrire l’horreur de ce drame épouvantable, fondateur d’une mythologie définitive dans la grande presse à sensation.

« Kholman, Vieille, Guillaume, Oggioni, Gallieni. » La nuit, Madeleine énumérait le nom des jeunes victimes de ce mois de juillet 1959, sans réussir à écarter celui de « Georges-Antoine Noureïev » qui finirait bien par s’ajouter à la longue liste de tous ceux — ces martyrs — restés là-haut.

B. regretta encore l’éducation catholique de son fils.

Juste avant de rejoindre Pierre, Antoine avait relu quelques passages de Nietzsche soulignés sur son cahier rouge :
(...) vivez dangereusement, construisez votre maison sur le Vésuve ! écrivait le philosophe romantique. On n’apprécie jamais si bien la valeur de la vie que lorsqu’on la risque. Etc...

Pierre, préparait une classe scientifique pendant qu’Antoine n’eut assez vite, plus rien à préparer du tout. L’idée effrayait le jeune Conte, d’avoir toujours à supporter la force de démonstration rationnelle de son meilleur ami, par le biais de ses modes de calculs invariables ; de supposer quelquefois que Pierre puisse avoir encore raison sur le plan de la sémantique pure, grâce à des raisonnements théoriques immuables. Le garçon, d’à peine un an l’aîné d’Antoine, et calé en science des mesures toutes faites... appliquait son instruction en forme « Point final ! » à toute discussion. Curieusement, tout ce qui séparait les deux jeunes gens dans la matière banale de leur vie quotidienne, devenait le plus convaincant des moyens de leur réussite encordée. Ainsi, fut-il par-delà, entendu que Pierre deviendrait le stratège méthodique des batailles, pendant qu’Antoine se chargerait de résoudre l’aléatoire des mauvaises conjonctures. La confrontation de l’intuition, de la perception du monde sensible... à l’arithmétique sage de la logique pure, établirait une sorte d’union sacrée, propre à combattre toute forme de résistance extérieure. Ce qui continuerait de prendre en bas, des allures de joutes philosophiques inextricables entre ces deux beaux exemples humains du sens-opposé... élaborerait sur les parois, l’arme incontestable de leur victoire. Oui, ce sont bel et bien les oppositions idéologiques les plus farouches entre les deux grimpeurs, qui édifieraient dans les années qui suivraient, l’armature la plus solide de toutes les machines de guerre à l’endroit des derniers problèmes alpins....

Pour « le pilier central », Pierre s’était donc cramponné tout un hiver à la lecture rituelle du document topographique de référence (Le Vallot), au point d’en connaître par cœur le moindre détail technique, la plus petite possibilité de réussir à s’en sortir entier. Une fierté, un orgueil tout distinctif de l’appareillage sensible de Pierre, dont le matheux, le géomètre... répercutait chaque effet sur la substance intangible d’Antoine, lorsqu’ils partaient s’entraîner ; les jours de pluie surtout ! afin de se préparer au pire.

Du col de Peuterey (3934m) à l’attaque de la chandelle, 6h-8h. Du col et par une longue traversée à courbe de niveau, se diriger au pied du pilier central (rimaye parfois délicate). Quelques longueurs en terrain mixte mènent au pied du premier ressaut que l’on franchit en son centre par une ligne de fissure caractéristique (deux à trois longueurs IV sup., V)...

Antoine, lui, préférait occuper le vide qui convient à l’attente... à relire des passages entiers de l’amateur d’abîmes et d’en recopier quelques vers sur un cahier à carreaux griffonné de mille virgules bucoliques et amoureuses sur les filles et les montagnes. Les filles surtout !

« Maintenant les pierres et le gel ont perdu sur vous tout pouvoir, et le vide lui-même est un mot vide... Et la tourmente n’a plus de griffes, la vallée plus de discours, les horizons plus de mystère pour vous autres que les pénibles chemins de la glace et du roc ont enfin mené quelque part ! Mais nous continuons d’errer dans les labyrinthes de la nuit et d’écorcher nos doigts aux murailles insensibles et de chercher une issue à tâtons vers les cimes où règne la paix. Le gouffre est à nos trousses, gueule ouverte, les pierres embusquées dans leur tanière s’apprêtent à bondir, les ténèbres mûrissent lentement des avalanches... Quoi ! Nulle fissure n’apparaîtra-t-elle dans cette prison, nulle route ne surgira-t-elle sous nos pieds meurtris, nul signe d’alliance ne s’inscrira-t-il quelque part dans le ciel ?... Ô Dieu, donnez-nous enfin l’aurore. »

© SAMIVEL L’amateur d’abîmes




(À SUIVRE)